Les vingt-sept ministres européens de la défense ont dessiné, les 1er et 2 octobre à Deauville, le nouvel horizon de l’Europe de la défense. Plébiscitée par 80 % des Européens selon les enquêtes d’opinion, c’est une construction avant tout pragmatique et fondée sur des projets concrets.
Si des avancées sont possibles, c’est parce que nous avons dissipé les malentendus : nous ne construisons pas l’Europe de la défense contre l’OTAN.
Par ses déclarations sur la complémentarité entre l’Union européenne et l’OTAN, le président de la République française nous a donné la capacité de trouver un nouvel élan.
Relancer l’Europe de la défense, c’est progresser dans trois directions. D’abord, nous voulons que l’Union conserve et développe une véritable capacité industrielle pour être autonome, comme nous l’avons fait pour l’A 400M (l’avion de transport militaire). Cela impose de partager nos compétences, et non pour chacun des Etats de vouloir tout faire tout seul. Alors que les budgets nationaux de défense sont de plus en plus contraints, nous devons gagner en efficacité et rationaliser les efforts comme les investissements financiers des Européens. C’est aussi avec des programmes de recherche communs que nous favoriserons l’émergence d’une véritable base industrielle et technologique de défense en Europe.
Ensuite, nous voulons fixer une véritable ambition européenne en matière de projection des forces. L’objectif est connu : être en mesure de déployer nos soldats européens sur des théâtres d’opérations qui peuvent être proches de nos frontières, comme c’est le cas dans les Balkans, ou sur d’autres continents, comme pour notre opération au Tchad-République centrafricaine. Pour être mieux capables d’y parvenir, nos armées doivent travailler ensemble en amont, ce qui nécessite le renforcement de notre coopération en matière de formation, d’entraînement mais aussi d’équipements.
Enfin, l’Europe de la défense est intimement liée à l’émergence d’une politique étrangère commune. L’Union est désormais capable de parler d’une seule voix sur un certain nombre de sujets d’intérêt partagé, comme elle a su le faire à l’occasion de la crise géorgienne. N’oublions pas qu’il y a dix ans à peine le terme même d’Europe de la défense était encore tabou. Aujourd’hui, des progrès considérables ont été faits, et nous avons su mener ensemble une vingtaine d’opérations civiles et militaires dans le cadre de la politique européenne de sécurité et de défense. Aujourd’hui, les Européens contribuent activement à la gestion des crises et au maintien de la paix.
De même, la situation l’exigeant, l’UE a agi vite et a lancé dès septembre Navco, une action de coordination des moyens maritimes afin de lutter contre la piraterie au large de la Somalie. Nous préparons, en parallèle, une opération militaire européenne. Mais nous pourrons aussi montrer que nous sommes capables de clôturer notre mission en Bosnie, dès lors que les objectifs militaires seront atteints.
Les progrès engrangés à Deauville ouvrent la voie à des avancées importantes sur de nombreux projets concrets. Au plan capacitaire, nous avons ainsi posé les bases d’une flotte multinationale de transport aérien, autour de l’A400M. De même, nous allons renforcer notre coopération navale avec la constitution, en cas de besoin, d’un groupe aéronaval européen. Par ailleurs, nous allons développer nos moyens de renseignement collectifs, notamment par de nouvelles capacités d’observation spatiale européennes. Enfin, nous nous sommes mis d’accord pour moderniser nos flottes d’hélicoptères ensemble, avec un important volet formation des pilotes, afin que ces appareils puissent être déployés sur les théâtres d’opérations les plus exigeants.
Dans le domaine industriel, nous soutenons la création d’un véritable marché intérieur de l’armement. Pour cela, la présidence française encourage l’adoption de nouvelles règles européennes facilitant le transfert des équipements de défense entre Etats membres et libéralisant davantage les marchés publics de défense, à travers les deux directives communautaires depuis longtemps en discussion. Cela passe aussi par un rôle accru de l’Agence européenne de défense, notamment pour la conduite des programmes de recherche et d’armement européens, comme les futurs hélicoptères lourds et le déminage maritime.
Enfin, nous forgeons une conscience européenne de défense à travers des initiatives sur la formation militaire, puisque nous souhaitons mettre en oeuvre des échanges entre jeunes officiers européens, inspirés du programme Erasmus, sur la coordination des évacuations de ressortissants européens et sur la surveillance des espaces maritimes européens.
Nous sommes convaincus que l’Europe de la défense n’avancera que par des réalisations concrètes, plutôt que par des débats institutionnels. C’est en mutualisant nos savoirs et nos savoir-faire que nous pourrons à la fois mieux assurer notre sécurité et peser sur les affaires du monde. L’Europe a un avenir commun, un destin commun. Elle doit en assurer la sécurité. »
Source: Tribune publiée dans Le Monde et signée par Hervé Morin, ministre français de la Défense et Javier Solana, haut représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune