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Dominique de Villepin: "Obama ressemble au monde nouveau"

Dominique de Villepin s’est opposé à l’administration Bush au déclenchement de la guerre en Irak. L’ancien Premier ministre voit dans l’élection présidentielle l’ouverture d’une nouvelle ère, dans laquelle le candidat démocrate peut réinventer un rêve américain… Mais l’Amérique ne sera plus jamais toute-puissante.

Entretien avec le Journal du Dimanche.

Le Journal du Dimanche: Une nouvelle Amérique est-elle possible?

Dominique de Villepin: Elle est inévitable, tant le vieux rêve américain est brisé. La question qui se posera au vainqueur est simple et difficile: comment une Amérique en crise existentielle va-t-elle s’adapter à un nouveau monde? Comment réinventer un idéal américain après huit ans de cauchemar? Sous George W. Bush, ce pays est passé du rêve de l’hyperpuissance au doute absolu. Le nouveau président aura les ailes rognées pendant plusieurs années par les effets de la crise économique. Tout est à reconstruire et dans un monde qui a changé, où la puissance bascule du Nord au Sud, de l’Occident vers les pays émergents…

Cette élection ne peut pas relancer la Grande Amérique?

Le monde n’a pas attendu, il n’y aura plus d’Amérique omnipotente. Mais les Etats-Unis ont une capacité de reconstruction. L’élection est marquée par l’espoir et l’ambition. Les deux candidats portent la fin du bushisme…

Les deux candidats?

Les deux, mais inégalement. McCain rompt avec Bush, mais il est le candidat des républicains… Individuellement, il force le respect. Il ressemble à cette Amérique que nous avons tant aimée, celle des valeurs démocratiques, du GI de la Seconde Guerre mondiale, et l’optimisme du rêve américain… Mais ce rêve n’existe plus. Avec les subprimes, les petits propriétaires qui perdent leurs maisons, la catastrophe de l’industrie automobile, la crise environnementale, ce qui fondait cette Amérique s’évanouit sous nos yeux. McCain peut encore croire à la victoire. Mais il renvoie l’écho d’un monde en train de disparaître.

A contrario, Obama est en phase?

Il ressemble au monde nouveau. Ses origines, son parcours, le portent. Entre le Kenya, Hawaï, l’Indonésie, son expérience de travailleur social, il peut ressentir ce que nous devenons. Il a réussi à s’imposer comme un symbole, chez lui et dans le monde. Il porte l’espoir d’une réconciliation intérieure… Mais aussi l’espérance d’une politique étrangère plus équilibrée, d’un leadership américain éclairé…

Et vous votez Obama, vous aussi?

L’Amérique votera sans doute Obama, mais seule l’Amérique votera! Attention à la théâtralisation, à l’idéalisation d’un homme providentiel. Obama porte un espoir, mais aussi des incertitudes. Il développe des thèmes sociaux qui renvoient à Roosevelt. Mais il est aussi choisi par des lobbies financiers: la moitié du financement d’Obama vient des grands groupes, de dollars venus de Goldman Sachs…

Mais, d’un point de vue français, faut-il souhaiter Obama?

D’un point de vue français et européen, il faut être indépendant. Relisons Bakounine: nous sommes nos propres maîtres! Ce sentiment que le candidat démocrate est le candidat de la planète peut introduire une confusion. Obama est séduisant, mais n’allons pas réinventer l’atlantisme s’il était élu! L’Amérique n’est plus le centre de l’Occident qui n’est plus le centre du monde. Obama, comme McCain, défendra les intérêts de son pays, qui ne seront pas exactement les nôtres.

Mieux vaut quand même éviter que Sarah Palin s’approche du pouvoir?

Mme Palin est sidérante, mais elle est une partie de l’Amérique: une Amérique blanche et rurale, conservatrice, messianique aussi, l’Amérique des armes à feu, mais aussi de la réussite individuelle… Si cette Amérique se sent exclue du nouveau rêve, elle nourrira sa rancoeur, cela pourra déstabiliser le pays, peut-être l’entraîner dans la violence. Je sais à quel point les Etats-Unis sont fracturés: le résultat, quel qu’il soit, risque, dans un premier temps au moins, d’attiser les tensions. Et on ne change pas un pays par miracle… Ni Obama ni McCain ne seront omnipotents. Il y a les lobbies, les Etats, le Congrès, des habitudes. Il y a la peur, qui a tout rongé…

Mais le choix d’Obama est un choix d’avenir?

C’est son très beau slogan, « yes we can »! Mais pour Obama -justement parce qu’il incarne le changement-, ce sera encore plus difficile. N’écartez pas le risque d’un terrible désenchantement! Il devra apporter des solutions à son peuple, très vite. Il devra choisir entre ses priorités, gérer le temps, calmer les impatiences. Wall Street et la finance ne seront pas des partenaires faciles. La société politique traditionnelle va le guetter au tournant…

Si vous deviez le conseiller?

Je n’ai pas cette prétention. Mais il y a une constante, pour n’importe quel leader, et cela vaut aussi chez nous: rassembler au-delà de son camp, et rassembler sur un élan et des valeurs, et d’abord la justice. Obama peut porter cela. Son discours de Philadelphie sur les Noirs et les Blancs était absolument juste. Il est capable d’aller au-delà de ses soutiens. Le fait que Colin Powell le rejoigne est un très bon signe.

Même si Powell était votre adversaire pendant la guerre d’Irak?

Powell est un ami. Quelqu’un de bien qui a été perdu, un moment, dans le bushisme, par fidélité. Lors de notre affrontement à l’ONU, je le sentais. Colin est un soldat, il défendait la ligne de son président, mais je lisais dans ses yeux une infinie tristesse, une rage même, d’avoir à mener cette politique injuste.

Il peut être l’homme qui ramènera les soldats à la maison avec Obama, après les avoir envoyés là-bas avec Bush?

Oui. Et aussi un passeur entre les deux Amériques, celle d’Obama et celle de Bush. Justement parce que Colin a été fidèle dans la tourmente, avant de choisir Obama par conviction.

On peut faire admettre aux Américains qu’ils ne sont plus le centre du monde?

La planète est bouleversée et c’est un point d’appui fantastique pour un homme d’Etat. Si Obama est élu, s’il a l’audace de ramener son pays au monde, « yes, we can, j’ajouterai toutefois: « but not alone », pas seuls! L’Amérique doit renouer avec des principes qu’elle a bafoués à Abou Ghraib, à Guantanamo. Elle doit cesser de rudoyer les dirigeants latino-américains qui lui déplaisent. Elle doit être dans un dialogue, y compris pour réduire la menace iranienne. Elle doit s’investir dans la question israélo-palestinienne, parce qu’elle prouvera son parti pris de justice…

Obama veut poursuivre la guerre en Afghanistan, et poursuivre les talibans jusqu’au Pakistan.

Obama n’est pas au bout de son apprentissage international. Il compense son ouverture sur l’Irak en tenant un discours irréaliste sur l’Afghanistan… Mais il comprendra qu’il n’y a pas de victoire militaire possible là-bas, que la politique doit reprendre ses droits. Aujourd’hui, le monde n’a plus de forme, plus de cohérence. Si l’Amérique retourne à ses valeurs, ce sera un point de départ. Pour l’instant, l’histoire hésite et personne – politiques comme simples citoyens – ne connaît bien son rôle. Nous sommes des personnages, des pays en quête d’auteur et de destin.

Source: Le Journal du Dimanche (Propos recueillis par Claude Askolovitch et Antoine Malo)

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