« La vision russe part de ce qui est acquis : la Géorgie à genoux, ses troupes chassées des territoires séparatistes, la perspective d’un débat international sur l’avenir de ces deux petits États non reconnus mais dont le désastre géorgien pourrait accélérer la reconnaissance.
On peut parler à loisir de retour au statu quo, la Russie y consent parce que cela signifie seulement le retour à la situation militaire antérieure à l’équipée de Saakachvili, c’est-à-dire à l’absence de troupes géorgiennes en Ossétie et en Abkhazie.
La Russie accepte sans mal de s’engager à respecter la souveraineté géorgienne, car l’époque des annexions est révolue, mais il en va tout autrement d’un engagement sur l’intégrité du territoire géorgien car ce problème est plus ou moins dépassé.
Les Ossètes et les Abkhazes refuseront, plus que jamais, de s’incorporer à la Géorgie. La guerre qui, officiellement, ne visait que l’Ossétie a eu, pour effet, d’ouvrir la question abkhaze. Enfin, en dépit des protestations de la Géorgie, le sort de ces deux mini-États, même si cela n’est pas clairement dit, ne relève plus de sa seule souveraineté. Si, moralement, la Russie a quelque peu perdu à déployer sa force, politiquement elle a gagné sur deux tableaux.
À terme, elle a montré que son appui pouvait aider des peuples à disposer de leur destin, alors qu’il y a quelques mois, à peine, la reconnaissance de l’indépendance du Kosovo contre sa volonté semblait démontrer le contraire. Elle a aussi affaibli la Géorgie, non seulement militairement mais sur le plan international, diminué ses chances d’entrer rapidement dans l’Otan, et par là, mis un frein à l’éviction russe programmée du Caucase du Sud. Ce qui n’était pas la moindre de ses préoccupations.
Cette guerre confirme, en définitive, le retour de la Russie sur la scène internationale, une Russie sûre d’elle-même, affichant ses intérêts nationaux sans complexe et, c’est nouveau, l’acceptation par la communauté des nations de traiter avec cette Russie-là et non avec un État diminué.
Saakachvili, dans son projet fou de défier la Russie, lui aura rendu probablement le plus grand des services qu’elle ait connus au cours de ces dernières années. »
Source: Hélène Carrère d’Encausse, secrétaire perpétuel de l’Académie française (Le Figaro)