Le ministère français de la Défense, interrogé sur les accusations rwandaises contre Paris quant au génocide de 1994, a renvoyé à sa position exprimée dès 2007, déniant toute « impartialité » et toute « légitimité » à la commission d’enquête dont le rapport a été publié hier à Kigali.
De son côté, le ministère des Affaires étrangères questionne « l’objectivité du mandat confié à cette Commission indépendante », tout en dénonçant les « accusations inacceptables portées à l’égard de responsables politiques et militaires français ».
Le rapport de la commission rwandaise
Ce rapport de 500 pages reprend des accusations portées de longue date par Kigali contre Paris et laisse entendre pour la première fois la possibilité de poursuites judiciaires contre d’anciens dirigeants politiques et responsables militaires français.
La conclusion du rapport de la commission rwandaise était certes attendue, cette commission ayant été formée pour « rassembler les preuves de l’implication de la France dans le génocide ».
Selon ce rapport, la France était « au courant des préparatifs » du génocide, et a « participé aux principales initiatives » de sa mise en place, avant de « participer à sa mise en exécution ». « Des militaires français ont commis eux-mêmes directement des assassinats de Tutsis et de Hutus accusés de cacher des Tutsis (…). Des militaires français ont commis de nombreux viols sur des rescapées tutsies », accuse encore la commission.
Et d’ajouter: « Le soutien français était de nature politique, militaire, diplomatique et logistique. »
Kigali a par ailleurs toujours considéré que l’opération militaro-humanitaire Turquoise, menée de juin à août 1994 au Rwanda sur mandat des Nations unies, visait « à protéger les génocidaires », s’appuyant sur le fait que le génocide s’est également produit dans la zone sous protection française.
Dans ce rapport, les noms de trente-trois responsables français – treize hommes politiques et vingt militaires – sont cités, parmi lesquels ceux de l’ancien président François Mitterrand, Alain Juppé, alors ministre des Affaires étrangères, Edouard Balladur, Premier ministre à l’époque ou encore ceux de Dominique de Villepin, alors directeur de cabinet d’Alain Juppé et d’Hubert Védrine, qui occupait en 1994 la fonction de conseiller à la présidence de la République.
Le génocide au Rwanda a fait, selon les Nations unies, environ 800.000 morts, principalement au sein de la minorité tutsie, mais aussi parmi les Hutus modérés.
La France a reconnu des « erreurs » dans sa politique rwandaise, mais a toujours récusé les accusations lui faisant porter une responsabilité dans les massacres.
Les conclusions de la commission rwandaise sont diamétralement opposées à celles de la mission d’information parlementaire française, dévoilées, elles, en 1998.
Celle-ci avait à l’époque conclu que la France n’avait « en aucune manière incité, encouragé, aidé ou soutenu ceux qui ont orchestré le génocide et l’ont déclenché dans les jours qui ont suivi l’attentat », contre le président rwandais de l’époque, Juvénal Habyarimana, attaque à l’origine du génocide.
A la demande de Kigali, François Mitterrand avait envoyé, dès 1990, des militaires au Rwanda afin de contenir l’avancée des rebelles tutsis de Kagame. L’armée française a ensuite aidé à la formation d’unités militaires, qui participeront ultérieurement au génocide. En revanche, il n’y avait plus de soldats français en 1994, à la suite de la signature des accords d’Arusha (fin 1993).
Mais le régime du Président Kagamé n’a jamais pardonné à la France de n’avoir pas reconnu ses responsabilités.
En novembre 2006, Kigali a rompu ses relations diplomatiques avec Paris suite aux mandats d’arrêt du juge Bruguière contre neuf des proches du président rwandais, Paul Kagamé, soupçonnés d’avoir participé à l’attentat contre l’avion de Juvénal Habyarimana le 6 avril 1994, événement déclencheur du génocide.
Quelles suites possibles?
Le Rwanda ne devrait pas se contenter de ces conclusions.
« Vu la gravité des faits allégués, le gouvernement rwandais a enjoint les instances habilitées à entreprendre les actions requises afin d’amener les responsables politiques et militaires français incriminés à répondre de leurs actes devant la justice », poursuit le communiqué.
La Commission demande donc au pouvoir rwandais de saisir les instances internationales. Kigali pourrait bien répondre par l’affirmative et porter l’affaire devant la justice internationale.
Dans une interview accordée au site internet du Nouvel Observateur, le ministre rwandais de la Justice dit son intention de saisir son homologue française, Rachida Dati, en vue d’une coopération judiciaire. En cas de difficulté, Tharcisse Karugarama envisage de saisir le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR).
En avril 2007, le Rwanda s’était déjà rendu à La Haye, devant la Cour internationale de justice de La Haye (CIJ). Devant la CIJ, il avait à l’époque accusé Paris d’avoir enfreint l’obligation faite aux Etats de s’abstenir de toute intervention dans les affaires d’autres pays en réclamant des poursuites contre le président Paul Kagamé.
Ce dernier, ainsi que neuf de ses proches pour lesquels des mandats d’arrêt ont été émis, sont soupçonnés par le juge français Jean-Louis Bruguière d’avoir participé à l’attentat contre l’avion de Juvénal Habyarimana le 6 avril 1994, événement déclencheur du génocide. Une demande qui a provoqué la rupture des relations diplomatiques entre les deux capitales en novembre 2006.
La commission rwandaise est donc clairement perçue comme une riposte aux mandats d’arrêt du juge Jean-Louis Bruguière.
Depuis l’arrivée du président Nicolas Sarkozy au pouvoir, les deux pays avaient néanmoins esquissé un rapprochement. Les deux chefs d’Etat s’étaient rencontrés en décembre à Lisbonne, et M. Sarkozy avait reconnu des « erreurs » de la France au Rwanda. Un mois plus tard, le chef de la diplomatie, Bernard Kouchner, se rendait à Kigali.
Le 18 juin, le Rwanda avait fait savoir qu’il souhaitait recourir à la compétence universelle prévue dans ses textes de loi en vue de poursuivre devant ses juridictions des non-Rwandais accusés d’être impliqués dans le génocide.
Début juillet, le président Paul Kagamé avait menacé de faire inculper des ressortissants français si les tribunaux européens ,’annulaient pas les mandats d’arrêt émis contre des responsables rwandais.
La réaction du Ministère de la Défense
Questionné sur les conclusions présentées par le ministre de la Justice rwandais, Tharcisse Karugarama, le ministère de la Défense a renvoyé à un de ses communiqués publié le 9 février 2007, déniant « impartialité » et « légitimité » à la commission d’enquête.
« La France assume pleinement son action au Rwanda en 1994 et notamment celle de ses forces armées », déclarait alors la Défense.
« Nous avons appris qu’une commission d’enquête rwandaise envisageait de se rendre en France pour procéder à des auditions de personnalités françaises », poursuivait le ministère.
« Chargée par les autorités rwandaises de « rassembler les preuves de l’implication de l’État français dans le génocide perpétré au Rwanda en 1994″, cette commission ne présente, de toute évidence, aucune garantie d’indépendance et d’impartialité », estimait-il.
La réaction du Ministère des Affaires Etrangères
La France a rejeté mercredi les conclusions d’un rapport de Kigali sur sa « participation » au génocide de 1994, qu’elle juge « inacceptables », tout en insistant sur sa volonté de poursuivre le rapprochement diplomatique esquissé entre les deux pays depuis près d’un an.
Romain Nadal, porte-parole du ministère des Affaires étrangères s’est « interrogé sur l’objectivité du mandat confié à cette Commission indépendante chargée par les autorités rwandaises de rassembler les preuves montrant l’implication de l’Etat français dans le génocide perpétré au Rwanda », tout en ajoutant que « notre détermination de construire une nouvelle relation avec le Rwanda, au-delà de ce passé difficile, reste intacte ».
« Il y a dans ce rapport des accusations inacceptables portées à l’égard de responsables politiques et militaires français », a dé
claré à la presse Romain Nadal, précisant que le texte n’avait pas été communiqué à la France « pas les voies officielles ».
« Notre détermination de construire une nouvelle relation avec le Rwanda, au-delà de ce passé difficile, reste intacte », a souligné le Quai d’Orsay.
Mais pour le Président Kagamé, l’action du juge Bruguière reste le principal obstacle à une normalisation: il n’est pas « question de séparer le diplomatique du judiciaire », avait-il averti en avril.
La réaction d’Alain Juppé, Ministre des Affaires étrangères à l’époque des faits
Pour sa part, Alain Juppé, alors ministre des Affaires étrangères, a renvoyé à un texte publié sur son blog le 27 janvier : « Nous assistons depuis plusieurs années à une tentative insidieuse de réécriture de l’histoire. Elle vise à transformer la France d’acteur engagé en complice du génocide. C’est une falsification inacceptable. »
« On nous dit qu’au Rwanda, la France aurait commis une ‘faute politique’. C’est trop ou trop peu. De quelle faute s’agit-il? Il faut l’expliquer! », écrivait alors l’ancien chef de gouvernement.
« Aurions-nous, par exemple, pris systématiquement le parti d’un camp contre l’autre, des Hutus contre les Tutsis ? C’est une contre-vérité », ajoute-t-il.
« Aurions-nous ‘omis’ de dénoncer le génocide dont les extrémistes Hutus se sont rendus coupables à partir d’avril 1994 ? C’est une contre-vérité », insiste-t-il.
« Aurions-nous fait preuve de passivité alors que la communauté internationale aurait agi ? C’est une contre-vérité », dit encore Alain Juppé.
« Pendant la période où j’ai conduit la diplomatie française (d’avril 1993 à mai 1995), nous avons fait tous les efforts possibles pour aider à la réconciliation des Rwandais », assure Alain Juppé.
Sources: Agence France Presse, L’Express, Le Nouvel Observateur, Le Monde et TV5 Monde