Le député (UMP) George Tron, président du Conseil immobilier de l’Etat, dénonce des dérives dans la gestion des bâtiments publics et un mode de gestion bien éloigné des économies annoncées par le président Sarkozy. Entretien.
Le projet de rapport d’information parlementaire, signé par les députés Yves Deniaud (UMP) et Jen-Louis Dumont (PS), sur les suites données aux préconisations de la Mission d’évaluation et de contrôle (MEC), fait état de sérieux dysfonctionnements dans la gestion du patrimoine immobilier public. Selon ce rapport, l’Etat peine toujours à gérer sainement son parc immobilier: absence de rationalisation, loyers élevés, volonté des ministères de n’en faire qu’à leur tête…
Député-maire UMP de Draveil (Essonne), le villepiniste Georges Tron préside cette MEC et aussi le Conseil de l’immobilier de l’Etat (CIE).
Libération: Confirmez-vous les conclusions du projet de rapport d’information sur la gestion immobilière de l’Etat, qui fait état de sévères dérives?
Georges Tron: Il faut dire les choses avec clarté. Le problème dont nous parlons est ni plus ni moins qu’un manque de centralisation sur la gestion du patrimoine immobilier de l’Etat. Le ministre de la Réforme fait attention à la gestion du parc immobilier de l’Etat mais il y a une carence du pouvoir donné à France domaine, qui est censé être le bras séculier de l’Etat dans la gestion immobilière. Les ministère entendent conduire leur politique immobilière seuls. Il y a donc un risque de retour à une gestion calamiteuse que nous avons déjà signalée en 2005.
C’est-à-dire?
La Mission d’évaluation et de contrôle (MEC) est chargée d’évaluer la façon dont l’Etat gère son patrimoine immobilier. En 2005, j’en étais déjà le président. Du reste, le Conseil de l’immobilier de l’Etat (CIE) a été créé en 2006 après notre rapport très critique de 2005. Grâce à lui, on a fait la moitié du chemin. Mais les ministères sont en train de reprendre la tutelle sur la gestion de leur patrimoine. On rentre à nouveau dans le cycle de la folie immobilière. Cette volonté est contraire à celle affichée par le gouvernement dans le cadre de la Révision générale des politiques publiques (RGPP, lancée par Nicolas Sarkozy en juillet 2007 pour diminuer la dépense publique tout en renforçant l’efficacité et la qualité de l’action publique, ndlr), qui est censée réaliser des économies.
De quoi s’agit-il?
France domaine est court-circuité par les ministères: il n’y a pas assez de poids mis par le pouvoir politique pour contrer les administrations centrales et les ministères. Ces derniers souhaitent récupérer leur autonomie dans la gestion de leur parc immobilier. Ils contredisent le rapport de 2005. C’est une situation ubuesque qui engloutit des centaines de millions d’euros si on n’y prend pas garde et va aboutir à rendre caduques tous les efforts de la RGPP.
Quelques exemples?
Le ministère de la Culture n’empêche pas le Louvre d’aller louer quelques centaines de mètres carrés au centre de Paris à un prix très largement supérieur à celui du marché. Brice Hortefeux, lui, veut installer son équipe du ministère de l’Immigration dans le centre de Paris. Cela entraîne une opération immobilière extrêmement onéreuse, dans un des immeubles les plus chers de Paris au mètre carré.
Le ministère de l’Equipement, pour sa part, veut faire construire des tours pour 700 millions d’euros. De leur côté, les Affaires étrangères, qui ont déjà racheté l’imprimerie nationale pour 400 millions d’euros l’an passé (bâtiment qui avait été vendu par l’Etat quatre fois moins cher en 2003, ndlr), souhaitent maintenant faire construire un bâtiment, pour 100 millions d’euros, qui n’accueillerait que trois ou quatre conférences par an…
Enfin, le ministère de la Justice, dans le cadre de la réforme de la carte judiciaire de Dati, va supprimer 300 tribunaux. Pour ce faire, il va devoir opérer des regroupements de services. Ce qui induit de nouvelles locations, acquisitions ou constructions. Non seulement, il n’y aura pas d’économies de réalisées, mais il y aura de nouvelles dépenses.
Quid de l’entretien de ces bâtiments ministériels, qui semble également poser problème?
C’est effectivement une autre dérive constatée. Les ministère ne considèrent pas l’entretien comme prioritaire. Résultat, ils négligent cette question, et après cela coûte plus cher de faire les travaux nécessaires. A terme, cela va nous ruiner.
Trois ans après vos premières mises en garde, rien n’a donc changé dans cette gestion calamiteuse?
L’intérêt que je poursuis, c’est de montrer la réalité. J’adhère totalement à la démarche de la RGGP mais cette dernière peut être contrariée par des gens complètement à côté de la plaque. Je préfère tout de suite tirer la sonnette d’alarme. Du reste, j’en ai parlé à Claude Guéant et je lui ai fait une note de six pages pour lui rendre compte de mes observations. Moi, j’ai deux inquiétudes: l’immobilier et la fonction publique. Et l’intérêt est de se placer dans la droite ligne de celui de la RGGP. C’est tout. Car le mode de gestion actuel va avoir l’effet inverse à celui escompté.
Source: Philippe Brochen (Libération)