Engagé à 18 ans au sein des Forces françaises libres, Lucien Neuwirth a joué un rôle décisif dans le retour du Général au pouvoir.
50 ans après, Lucien Neuwirth, porte-parole du Comité de salut public créé le 13 mai 1958 à Alger, témoigne.
L’Express: Où étiez-vous, le 13 mai 1958?
Lucien Neuwirth: A Alger, où j’étais arrivé le 29 avril, pour effectuer une période de réserve comme officier chargé de l’action psychologique au Cinquième Bureau. Tout de suite, j’ai compris qu’il fallait prendre en main les moyens d’expression. Je suis donc devenu directeur de Radio-Alger – que j’ai baptisé « France V », par la suite, parce que nous étions en train de créer la Ve République!
Quels sont vos souvenirs les plus forts?
Ce qui m’a frappé, c’est le climat de fraternisation entre les musulmans et les Européens. Une scène, en particulier, m’a bouleversé: des femmes venues se dévoiler sur le Forum (vaste esplanade devant le gouvernement général, à Alger), pour dire qu’elles étaient des Françaises à part entière. On sentait qu’elles gagnaient leur liberté. Massu et Salan étaient à côté de moi. J’ai senti qu’ils étaient très impressionnés. Il y a eu aussi mon chauffeur, musulman, qui m’a pris la main et l’a embrassée en me disant: « Vous ne vous rendez pas compte de ce que vous venez de donner à l’Algérie! »
Et qu’était-ce?
Nous, le Comité de salut public (créé le 13 mai, il est présidé par le général Massu et Lucien Neuwirth en est le porte-parole), nous voulions que les lois républicaines s’appliquent. Cela voulait dire que l’Algérie devenait partie intégrante de la France, que notre unité territoriale s’affirmait, selon l’expression alors employée, de « Dunkerque à Tamanrasset ».
Les grands propriétaires de la Mitidja sont venus affirmer qu’ils allaient traiter leurs employés en respectant les règles sociales de la République. Moi-même, j’ai prononcé un discours à la radio, à la télé et au Forum. La présence de Massu et de Salan montrait que l’armée apportait sa caution à la République. Nous avons évité le pire face à l’OAS, aux fascistes, qui ne pensaient qu’à en découdre, à réduire l’Algérie en esclavage. Les appelés du contingent, qui venaient de la métropole, nous soutenaient. Les quatre cinquièmes des généraux aussi. Massu et moi avions des liens très forts tous les deux, charnels. Ensemble, nous avions apporté la liberté à la France; nous voulions en faire de même avec l’Algérie. Elle pouvait devenir une formidable puissance économique: il y avait du pétrole, des moyens. Mais il existait un clivage entre ceux que l’on appelait les «vieux turbans» et les générations plus réformistes.
J’ai retrouvé ce clivage, plus tard, quand j’ai fait adopter ma loi sur la contraception (qui autorise l’utilisation de la pilule, en 1967). Certains me disaient alors: « Avec votre loi, les gamines de 13 ans vont faire le tapin! »
Et de Gaulle?
La IVe République était incapable de résoudre les problèmes, et notamment le drame colonial. De Gaulle était la seule personnalité capable de le faire. Avant de partir pour l’Algérie, je suis allé le voir. Il avait déjà reçu Léon Delbecque, un membre des Républicains sociaux (parti créé après la mise en sommeil du mouvement gaulliste de l’après-guerre, le RPF) qui avait dû quitter Alger et allait jouer un rôle considérable par la suite.
J’ai dit au Général que la situation en Algérie était intenable. Il m’a répondu avec un certain fatalisme: « Que voulez-vous! » Il avait l’air découragé. Il m’a raccompagné à la porte, et là, une main sur mon épaule et l’autre sur la poignée, il m’a dit: « Finalement, Neuwirth, qu’est-ce que vous allez faire? » « On fera appel à vous! » ai-je lancé. « Je vous répondrai », m’a-t-il assuré. C’est la fusée qui m’a fait démarrer.
Source: Corinne Lhaïk (L’Express)