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Le défi de la mondialisation, par Dominique de Villepin

Troisième « épisode » de notre série « Villepin, l’Homme d’Etat »: « Le défi de la mondialisation », une Tribune signée par Dominique de Villepin au printemps 2003.

« Qu’il s’agisse de l’économie, de l’environnement ou de la sécurité, notre monde porte l’exigence générale de la solidarité. Nul ne peut se prétendre indifférent à une tempête boursière qui affecte une région située aux antipodes, à un désastre écologique qui ignore les frontières ou à une crise militaire régionale qui menace les équilibres stratégiques », écrit le Ministre des Affaires étrangères de l’époque, avant de souligner que « pour répondre à ces défis de la mondialisation, trois principes s’imposent : légitimité, partage et justice ».

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« A l’orée de ce nouveau millénaire, le monde est riche d’opportunités et d’expériences nouvelles, mais également gros de menaces et de pièges.

Chacun, où qu’il soit, peut sentir à tout moment battre le pouls de la planète. Un étudiant chinois peut accéder aux banques de données des universités européennes, confronter ses idées à celles de ses collègues américains. Les produits et les services sont mus par cette même logique d’échanges sans frontières.

Source de création et de richesse, ce nouveau bouillonnement entraîne une dynamique sans précédent. Mais il risque d’écarter sur son passage ceux qui en ont le plus besoin : les plus démunis et les plus fragiles. A nous de relever le grand défi du partage, dans un monde désormais régi par deux lois implacables : l’urgence et l’interdépendance.

L’urgence, face aux crises qui éclatent l’une après l’autre, sur toute la surface du globe, des Balkans à l’Afghanistan, de l’Irak à la Corée du Nord. L’urgence, face aux grandes pandémies qui déciment jour après jour des populations entières. L’urgence, enfin, face aux crises économiques qui jettent des pays, voire des continents entiers dans la pauvreté, mettant en péril la stabilité mondiale.

Toutes les régions du monde sont désormais ouvertes aux crises et aux désordres qui se propagent d’un pays à l’autre, d’un continent à l’autre. De Bali à New York, de la Tanzanie au Kenya ou à Mombasa, de Karachi au Yémen, le terrorisme frappe partout, et brandit l’étendard de la mort et de la haine. La prolifération des armes de destruction massive engage l’humanité dans la peur et multiplie les risques d’autodestruction de l’espèce humaine.

Ces dangers sont ramifiés et complexes. Ils concernent tout le monde. Qu’il s’agisse de l’économie, de l’environnement ou de la sécurité, aspects de plus en plus indissociables, notre monde porte l’exigence générale de la solidarité. Nul ne peut se prétendre indifférent à une tempête boursière qui affecte une région située aux antipodes, à un désastre écologique qui ignore les frontières ou à une crise militaire régionale qui menace les équilibres stratégiques.

Pour maîtriser ces risques, il faut rejeter trois grandes tentations qui saisissent aujourd’hui notre monde.

La première tentation est celle de la peur. Face aux grands défis qui nous attendent, nous devons prendre acte de notre communauté de destin et renforcer nos actions communes, en particulier pour lutter contre le terrorisme, qui doit être combattu avec détermination, par tous les moyens dont on dispose, militaires si nécessaire. C’est ce que nous avons fait en Afghanistan, comme nous le faisons sur notre propre sol. Pour autant, comment ne pas voir qu’une approche purement centrée sur la défense de nos intérêts de sécurité ne résoudrait pas le problème sur le long terme ? Lutter contre le terrorisme, c’est aussi lutter ensemble contre le fanatisme et contre tout ce dont il s’alimente : la grande pauvreté, le désespoir, l’humiliation, le rejet de l’autre.

Jamais la peur ne doit dicter les priorités et les principes de notre action. L’exigence de sécurité ne doit pas nous faire oublier l’objectif du développement, de la croissance, le souci d’une meilleure répartition des richesses et de l’ouverture sur l’extérieur.

La deuxième tentation est celle de la force. Aujourd’hui, vouloir régler tous les problèmes par la force seule n’est ni souhaitable ni possible. Nul ne peut, par la puissance de ses armées, assurer la stabilité d’un monde régi par des lois complexes et hanté par des menaces globales. L’usage de la force ne peut être le fruit d’un abandon des efforts de paix et de dialogue.

La troisième tentation est celle du scepticisme ou de l’indifférence. Nous devons être particulièrement vigilants à l’égard des sentiments d’injustice, qui constituent aujourd’hui une véritable menace pour le monde. La surdité face aux malheurs des peuples les plus défavorisés porte en germe tous les conflits et toutes les haines. C’est pourquoi il nous faut inventer maintenant une méthode de gestion des crises qui soit à la fois universelle, juste et équitable.

Face aux crises de prolifération, les Nations unies doivent renforcer et perfectionner l’outil des inspections afin qu’il permette de les régler pacifiquement. Nous ne pourrons recourir systématiquement à la force face aux multiples crises qui sont en gestation. L’action de la communauté internationale doit reposer sur une vision globale et le souci de l’intérêt général. Elle doit être cohérente. Toutes les crises doivent être traitées selon les mêmes principes, qu’elles éclatent au Moyen-Orient, en Afrique ou en Asie, sans méconnaître pour autant leurs spécificités.

Les trois piliers d’une diplomatie mondialisée : légitimité, partage, justice

Pour répondre à ces défis de la mondialisation, trois principes s’imposent : légitimité, partage, justice. La légitimité de l’action repose sur les valeurs de la démocratie et de l’Etat de droit. La nouvelle communauté mondiale y aspire. Elle revendique une légitimité qui ne soit pas celle de la puissance mais celle de l’action collective, avec des règles claires, des processus de décision à la fois efficaces et respectables, ainsi que des instruments de justice adéquats. La Cour pénale internationale, dont le statut est entré en vigueur le 1er juillet 2002, constitue un acquis majeur que nous devons désormais défendre et consolider.

Deuxième principe, le partage. Il est plus que jamais essentiel que chaque nation, chaque peuple, chaque culture apporte une contribution unique et essentielle à l’édification du monde de demain. Le monde, riche de ses différences, multiplie les possibilités d’échange. Alors que l’homogénéité gagne, nous devons défendre la pluralité des cultures et veiller à ce que chacun puisse exprimer pleinement sa singularité.

C’est dans le respect de l’autre que nous pourrons retrouver, par-delà ce qui sépare les peuples et les cultures, le foisonnement des affinités et des échanges possibles. A rebours des préjugés et des logiques de fracture, ne jugeons aucune religion à l’aune de ses fanatiques ou de ses pourvoyeurs ; ouvrons la voie du dialogue des cultures. Il y va de notre avenir à tous. Car tous les hommes partagent le même besoin de sens, de dignité et de liberté.

Cette exigence de partage est au coeur de l’ambition de l’Europe et de la France. Depuis près de cinquante ans, sur notre continent autrefois percé d’antagonismes, nous inventons avec détermination une communauté unie et forte, respectueuse des différences, consciente que sa diversité constitue son bien le plus précieux. A nous de réussir l’élargissement historique de l’Union européenne et d’approfondir l’architecture européenne. Avec l’ensemble de nos partenaires européens et des futurs membres de l’Union, le couple franco-allemand doit assumer toutes ses responsabilités et faire preuve d’initiatives, pour porter au sein de la Convention sur l’avenir de l’Europe des propositions de réforme novatrices et audacieuses.

Dernier principe enfin : la solidarité et la justice. Qui ne voit aujourd’hui que tous nos efforts de sécurité seront vains si nous ne nous attaquons résolument aux fléaux de la pauvreté, de la maladie, des atteintes à l’environnement ou des crises régionales ? Nous sommes comptables de ces drames qui font souffrir des populations entières et constituent autant de menaces pour la stabilité du monde. Fidèle à sa vocation qu’atteste l’engagement au service des plus démunis de tant de nos compatriotes, pionniers de l’humanitaire, la
France va doubler en cinq ans son effort d’aide au développement et fixe un cap ambitieux pour l’avenir.

Pour faire reconnaître ces principes, notre action doit s’inscrire dans une volonté collective, efficace et persévérante. A nous d’inscrire nos engagements dans la durée. Le combat requiert détermination et ténacité, car les voies de l’ordre sont souvent longues et exigeantes. Aussi faut-il savoir tracer une perspective, envisager le long terme, creuser patiemment un sillon. Nous le voyons en Afghanistan, où, après l’action nécessaire pour éliminer les bases terroristes, il faut maintenant reconstruire, soutenir l’effort du peuple afghan, l’accompagner vers la démocratie et l’Etat de droit. Nous le constatons encore dans les Balkans, où la lutte résolue et persévérante pour l’Etat de droit et contre les organisations mafieuses demeure l’un des objectifs prioritaires pour assurer la stabilité de la région. Nous le voyons enfin en Côte-d’Ivoire, où le retour à la paix reste à instaurer de façon durable.

Une diplomatie économique forte

Ces défis de la mondialisation requièrent une diplomatie politique ambitieuse, mais aussi une diplomatie économique active. Sans l’espoir d’une plus grande équité sociale dans les populations déshéritées, nos efforts seront vains ou de courte durée. Ils se heurteront à l’incompréhension des peuples, à l’agrandissement des fractures entre les régions du monde.

La France entend mener une diplomatie économique volontaire et ambitieuse, à la hauteur des opportunités et des risques de la mondialisation.

Militons ensemble pour une approche économique globale contre les tentations de l’unilatéralisme. Le multilatéralisme incarne le règne du droit et instaure la confiance entre les Etats. La France soutient l’approche multilatérale des négociations commerciales incarnée par l’OMC. Elle défend un cycle global où les enjeux traditionnels des négociations commerciales – tarifs douaniers, agriculture, services – seraient complétés par des négociations sur un ensemble de thèmes de régulation : investissement, concurrence, environnement, normes sociales. Elle demeure plus que jamais soucieuse de faire évoluer les règles quand c’est nécessaire. C’est pourquoi elle propose aujourd’hui qu’un système préférentiel commercial soit appliqué à l’Afrique, dont on sait les difficultés économiques et qui a besoin d’être épaulée dans son intégration au système commercial multilatéral.

Dans le même esprit, la France plaide pour une libéralisation économique qui ne soit pas synonyme de laisser-faire. Elle n’est pas hostile au libéralisme, comme on se plaît parfois à le faire croire. Elle l’est au dogmatisme, aux fausses croyances ou aux préjugés érigés en vérités absolues. Le libre jeu du marché est source de richesses s’il est subordonné à des règles justes et transparentes ; sans elles, il peut être aveugle et dangereux.

Ainsi, la France n’a pas ménagé ses efforts, notamment depuis septembre 1998, pour tenter de mieux maîtriser les comportements spéculatifs sur les marchés de capitaux et pour éviter le creusement des inégalités entre les nations. Elle plaide chaque jour pour l’imposition de contraintes de transparence aux entités non régulées telles que les « établissements à fort levier financier » (« hedge funds »). Elle demande la mise en place de normes internationales de régulation prudentielle et de lutte contre le blanchiment. Le Groupe d’action financière internationale (Gafi) et le Forum de stabilité financière s’inscrivent dans cette perspective. Elle a souhaité que l’on soutienne les pays émergents dans leur choix du régime de change.

La France a également milité pour la création de mesures de régulation prudentielle ou fiscale des entrées de capitaux, telles que celles utilisées par le Chili dans les pays émergents en phase d’ouverture progressive aux échanges de biens et de capitaux. Ces mesures sont désormais acceptées par la communauté internationale et par le FMI. A nous de poursuivre sur une voie soucieuse d’assurer à chacun pleinement sa place dans le grand cercle des échanges.

Enfin, la France ne cesse de chercher des solutions au difficile problème du surendettement des Etats en développement. Elle est à l’origine de l’initiative pour les pays pauvres très endettés (PPTE), qui a été lancée au sommet de Lyon du G7, en 1996. Elle plaide pour qu’une attention particulière soit accordée aux pays PPTE qui ont été touchés par une forte dégradation de leurs termes de l’échange. Elle soutient les propositions du FMI en vue de créer un mécanisme stable de traitement de la dette des Etats émergents surendettés.

La présidence française du G8 et le Sommet d’Evian

Le sommet des chefs d’Etat et de gouvernement d’Evian doit permettre d’aller résolument de l’avant. Il importe à cet égard que les intentions de la présidence française du G8 soient bien comprises. Le G8 n’est pas un directoire du monde. Il incite, stimule mais ne gouverne pas. Il ne se substitue pas aux organisations internationales ; il les renforce en favorisant l’entente entre des pays qui, du fait de leur avancée technologique ou commerciale, ont une responsabilité particulière à l’égard de la communauté internationale.

A Evian, le président de la République le souligne en introduction de ce numéro de « Label France », la France proposera à ses partenaires un sommet orienté autour de quatre principes fondateurs : responsabilité, solidarité, sécurité et démocratie. Ces grands axes sont indispensables à une mondialisation réussie et humanisée. Sans une économie de marché responsable, soucieuse de la personne humaine et de l’environnement, il ne peut y avoir de confiance dans la mondialisation. Sans solidarité, le fossé continuera de se creuser entre riches et pauvres, nourrissant rancoeurs et incompréhensions, et concourant à l’insécurité. Enfin, sans démocratie, le dialogue entre les nations, les peuples et les cultures ne peut pleinement s’approfondir. A l’heure où la mondialisation est parfois contestée ou incomprise, ces principes méritent d’être rappelés. Le Sommet d’Evian apportera beaucoup, j’en suis certain, à cet égard.

C’est par une démarche exigeante et respectueuse que notre pays entend peser sur les affaires du monde et contribuer à la construction de la stabilité et de la paix. La France a la vocation et l’ambition de jouer un grand rôle. Elle en a aussi les moyens. Son inventivité, sa compétitivité, son niveau de technologie et d’éducation, lui assurent des bases solides. Sa position au sein de l’Europe, son appartenance au G8, à l’Otan, au Conseil de sécurité de l’ONU, lui confèrent un pouvoir de mobilisation réel. Tout au long de notre histoire, notre nation s’est sentie investie d’une mission particulière sur le théâtre du monde, porteuse de valeurs qu’elle voulait partager avec les autres peuples. Aujourd’hui, notre détermination à oeuvrer au service de l’intérêt général constitue notre atout et notre chance. »

Source: Tribune de Dominique de Villepin,ministre des affaires étrangères, de la coopération et de la francophonie, publiée dans le magazine Label France d’avril-juin 2003

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