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A l'Elysée: Dominique de Villepin, le grand stratège de Jacques Chirac

Après Le nouveau Président (été 2009) et Le précurseur (été 2010), retrouvez aujourd’hui le premier « épisode » de notre nouvelle série de l’été: « Villepin, l’Homme d’Etat ».

Alors que notre pays vogue de crise en crise, tel un bateau ivre, et que nous aurons à choisir dans 9 mois la personne en charge de notre destin commun, nous ressentons chaque jour davantage le besoin de porter à l’Elysée un Capitaine doté d’une véritable expérience, d’une vision et d’une ambition forte pour notre nation.

Nous vous proposons de redécouvrir quelques portraits de Dominique de Villepin ainsi que plusieurs tribunes qu’il a signées ces dernières années, pour la plupart avant la naissance de ce blog en novembre 2005.

Au fil de ces textes, une évidence: Dominique de Villepin est l’Homme d’Etat dont la France a besoin !

Premier extrait, datant de mai 2002: « A l’Elysée: Dominique de Villepin, le grand stratège de Jacques Chirac »

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Quand l’Elysée prenait des allures d’île Sainte-Hélène, il était le seul à entrevoir le soleil d’Austerlitz. Quand les affaires cernaient Chirac de tous côtés, quand Jospin caracolait dans les sondages, il n’y avait guère que lui pour clamer que la victoire était à portée de sabre, que le Premier ministre socialiste n’avait rien d’un aigle, qu’il s’effondrerait dans la bataille décisive…

Aide de camp obsédé par l’épopée napoléonienne, toujours prêt à courir sus à l’ennemi, Dominique de Villepin aura ainsi passé un septennat à remonter inlassablement la mécanique mentale de son empereur à lui, Jacques Chirac. « Villepin, c’est la piqûre de caféine de Chirac, plaisante un familier du palais. Aujourd’hui, il est heureux : il a réussi à faire élire son mec. » Mais l’élection de maréchal de ce dimanche 5 mai est aussi sa revanche personnelle – à lui qui fut accusé, pour en avoir été l’un des instigateurs, d’être le responsable du Trafalgar de la dissolution.

A l’époque, Dieu sait si on a raillé le techno arrogant, le diplomate de carrière qui connaissait mieux le Zambèze que la Corrèze, le « muscadin » dépourvu de tout sens politique. Bernadette Chirac elle-même aurait exigé la tête de ce Néron, qui prenait un plaisir d’esthète à provoquer des catastrophes…

Resté secrétaire général de la présidence, Dominique de Villepin s’est accroché aux branches. Porté par la haute idée qu’il a de lui-même et une ténacité de marathonien – il court sans effort ses 10 kilomètres le week-end -, il a vengé l’humiliation, fait ravaler leurs crachats à ses détracteurs. Comment ? En s’avérant plus indispensable que jamais. « Villepin, il me règle mes problèmes », a coutume de dire Chirac. Le précieux secrétaire général n’est pas seulement l’auteur putatif de quelques parades sémantiques aux affaires – ainsi de l’adjectif « abracadabrantesque », pêché par lui chez Rimbaud. A la tête d’une cellule de politiques et d’avocats, il a mené la défense du chef de l’Etat face aux juges. Il y a un an, les socialistes ont même dénoncé en lui le chef d’un cabinet noir chargé de déstabiliser Jospin par tous les moyens.

Villepin a en tout cas compris que cette « loyauté de béton », ce zèle inconditionnel, était la qualité essentielle attendue par son patron. Dans ce sabreur de 1,90 mètre aussi dégingandé que lui, Chirac a trouvé une sorte de fils qu’il n’a pas eu. Un second Juppé – dont Villepin fut le bras droit au Quai d’Orsay -, en plus flamboyant. « Il pige à une vitesse fantastique , s’est extasié un jour le président. Il est très rare de rencontrer un homme qui, comme lui, soit à la fois un bon poète et un très bon capitaine d’escadron de commando. »

Depuis sept ans, chaque petit matin trouve cet insomniaque au « Château » auprès de son grand homme, qu’il entoure de mille soins, de ses visions phosphorescentes, de ses projets de contre-attaques fulgurantes. Pour Chirac, ce fils de famille passé par les ambassades se fait garde du corps, hussard, soudard. Sans pitié pour l’ennemi, ni recul sur celui qu’il sert. « Il l’aime sans réserve. Plus Chirac était dans la merde, plus il devenait agressif », note un journaliste qui a subi ses foudres.

Car cet homme d’envolées lyriques est aussi capable d’emportements violents. On l’a vu s’enflammer pour des broutilles, par exemple parce que Chirac avait engrangé moins de signatures de maires que Jospin. Son allure de loup argenté, son regard brûlant disent assez son caractère. « Dominique n’est pas fou. Seulement très nerveux, arrogant, plein de panache. Et parfaitement cynique », dit un de ses anciens amis. « Connards » est le mot qui émaille le plus fréquemment son vocabulaire. Dans cette catégorie, il range une vaste partie de la classe politique, lui qui n’a jamais daigné prendre sa carte du RPR ni briguer les suffrages du commun des électeurs.

Cela ne l’a pas empêché, ces derniers mois, de jouer le rôle de directeur de campagne occulte de Chirac. Ce diplomate « qui en d’autres temps aurait déclenché des guerres », selon un de ses ennemis, a piloté dans l’ombre la recomposition de la droite, téléguidant Douste-Blazy, remettant en piste Sarkozy… Pour Chirac, il a imaginé « la tactique du lièvre » : partir très tôt, accaparer tous les thèmes dans l’air du temps, avant que Jospin s’en empare.

Guetteur du Château, il a, dit-il, senti monter la colère contre les élites. « La clé de Dominique, estime un de ses amis, c’est de vivre dans l’inquiétude, en cherchant des réponses hors des canaux habituels. » Plutôt qu’avec des fâcheux, il préférera toujours déjeuner avec l’acteur Jacques Perrin, le peintre Matta, les dessinateurs Gérard Lauzier et Régis Franc, autres regards cyniques sur la société. « Lors d’un dîner chez moi, plusieurs journalistes de Libé étaient venus en pensant bouffer de l’aristo chiraquien. Ils sont repartis sous le charme », témoigne Régis Franc.

Mais on le voit aussi déjeuner seul dans des bistrots de la rive gauche. Dès que Chirac est parti en voyage officiel, il s’évade, tel un sous-préfet aux champs, pour négocier des lettres d’écrivains chez les grands marchands d’autographes. Accro aux vieilles reliures, Villepin, joignant l’utile à l’agréable, l’est aussi aux statuettes africaines. Avec Chirac, il discute, dit-on, arts premiers, poésie chinoise. Ses propres recueils, publiés à compte d’auteur (« Elégies barbares »), dans un genre épique et glacé, entourent cet énarque d’un halo littéraire. Les éloges décernés à sa monographie sur les « Cent-Jours » ne s’expliquent pas seulement par sa position d’homme craint au sommet de l’Etat. D’une ample écriture un peu datée, Villepin y narrait une résurrection politique – celle de Napoléon, de Chirac, la sienne ? En émule de Chateaubriand, il y méditait sur le rôle du grand homme, sur la France, ce pays si étrangement divisé contre lui-même, affichant sa nostalgie d’un « âge de feu où politique et littérature ne faisaient qu’un ».

A la sortie du livre, le hussard féru d’Histoire a donné quelques interviews, puis s’est replié en son château tirer les ficelles du microcosme. « La lumière tue », a-t-il un jour déclaré. En réalité, cet orgueilleux calcule chacune de ses apparitions. Même en vacances au Pays basque. Chaque dimanche, les fidèles de l’église de Saint-Jean-de-Luz peuvent ainsi le voir surgir en cours de messe, dans sa chemise Lacoste jaune, et se poster debout, bien en vue au milieu de la nef, afin que nul n’ignore la présence en ces lieux de Dominique Galouzeau de Villepin…

A 48 ans, le secrétaire général risque d’affronter de plus en plus le regard du public. Car il a gagné sur le champ de bataille de la cohabitation son bâton de maréchal. Le ministère de l’Intérieur ? Puisqu’on le dit spécialiste ès basses besognes et qu’il a tracé dans son livre un portrait de Fouché… Plus naturel serait un retour dans la bulle virtuelle du Quai. En réalité, cet ambitieux, qui vit chaque journée comme si elle était la dernière, ne conçoit pour lui-même que les premiers rôles. Matignon, par exemple – mais pas tout de suite. Le vol de l’aigle Villepin serait alors un éclatant démenti à la sage maxime d’Edgar Faure : « Celui qui n’a pas été élu cinq fois et battu cinq fois ne peut rien comprendre à la politique. »

Source: Article de François Dufay publié dans Le Point daté du 7 mai 2002

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