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Dominique de Villepin répond aux auditeurs de France Inter (2/2): "Je n'en peux plus de vivre dans un pays qui ne s'aime pas"

« Aujourd’hui, les Français ne s’aiment pas ou en tout cas pas suffisamment. Moi je n’en peux plus de vivre dans un pays qui ne s’aime pas. Et j’estime qu’il faut donner la dignité aux Français, et à partir de là, ils auront une responsabilité à assumer qui est celle de la nation. On n’est pas responsable uniquement de son nombril, on est responsable de la nation et pour cela, il faut des citoyens. Eh bien, le citoyen, c’est une idée neuve en France: il faut l’inventer parce qu’il n’existe pas.

Sortons de cette logique de suspicion, de mépris et de haine pour rentrer dans une nouvelle ère: celle de la citoyenneté. Vous voyez bien: ce que je propose, personne d’autre ne le propose sur la scène politique ! Alors même à 4%, ça mérite d’être défendu ! Les grandes idées, elles mettent parfois 20 ans à progresser, mais il faut des gens qui se dévouent pour les proposer et les faire cheminer. »

« Le citoyen, c’est une idée neuve en France: il faut l’inventer parce qu’il n’existe pas »

Je précise d’abord ce qu’est le revenu citoyen: le revenu citoyen, c’est un revenu garanti en contrepartie d’une activité. Donc j’ai le plus grand respect pour celui qui se lève le matin pour aller travailler 8 heures par jour, mais je souhaiterais que celui qui est à côté et qui n’a pas d’emploi, pas d’activité puisse se lever le matin également pour consacrer son temps et son énergie à un objectif d’intérêt général. Donc vous voyez: on recale les pendules et chacun est sollicité. Il y a pas d’un côté l’un qui travaille et l’autre qui ne fait rien. Tout le monde contribue au devenir du pays.

Deuxièmement, cette idée du revenu citoyen s’accompagne, au-delà des 850 euros, d’un intéressement de tous ceux qui sont entre 850 euros et 1500 euros et qui bénéficieront de façon dégressive d’un revenu complémentaire. Celui qui est au SMIC, dont vous parlez, il touchera 130 euros de plus. Tout ceci est, bien sûr, à séquencer en fonction de notre impératif de réduction de la dette. (…)

Vous savez, c’est très simple comment on finance. Vous savez, s’il y a une tarte à la crème dans la politique française, c’est qu’il y a jamais d’argent pour rien, mais qu’on trouve toujours de l’argent pour tout. Bon ! Alors là, ça coûte 30 milliards ! C’est assez facile: 30 milliards, c’est l’équivalent des baisses d’impôt depuis 2007. Donc on les a bien trouvés, ces 30 milliards ! C’est une somme importante, mais qui change tout dans notre pays.

Ca veut dire qu’en France, il n’y aura plus que des citoyens. Aujourd’hui, et la question le souligne, il y a d’un côté dans l’esprit des Français des gens qui travaillent, de l’autre côté des assistés. Eh bien il n’y aura plus que des gens qui contribuent au service de la France et il y aura une dignité pour chaque citoyen.

La contrepartie de ça, c’est quoi? Tous les Français voteront: le vote sera obligatoire et pour toucher le revenu citoyen, il faudra voter. Deuxièmement, tous les Français paieront l’impôt à partir du premier euro. Ca change complètement l’idée qu’on se fait de la Nation. Aujourd’hui, les Français ne s’aiment pas ou en tout cas pas suffisamment. Si on veut les réconcilier, si on veut les rassembler, si on veut arrêter de dire: « vous les Roms, dehors ! Vous les immigrés, qu’est-ce que vous faites ici ? »…

Moi je n’en peux plus de vivre dans un pays qui ne s’aime pas. Et j’estime qu’il faut donner la dignité aux Français, et à partir de là, ils auront une responsabilité à assumer qui est celle de la nation. On n’est pas responsable uniquement de son nombril, on est responsable de la nation et pour cela, il faut des citoyens. Eh bien, le citoyen, c’est une idée neuve en France: il faut l’inventer parce qu’il n’existe pas.

Alors entre ceux qui raient les voitures, ceux qui crachent sur le voisin, ceux qui tirent sur le voisin, ceux qui dénoncent le voisin, écoutez, on a suffisamment souffert dans des périodes troubles de notre histoire ! Sortons de cette logique de suspicion, de mépris et de haine pour rentrer dans une nouvelle ère: celle de la citoyenneté. Vous voyez bien: ce que je propose, personne d’autre ne le propose sur la scène politique ! Alors même à 4%, ça mérite d’être défendu ! Les grandes idées, elles mettent parfois 20 ans à progresser, mais il faut des gens qui se dévouent pour les proposer et les faire cheminer. (…)

« Si vous voulez que les choses changent, créons un pacte social, créons un pacte républicain, rassemblons les Français ! »

Il faut faire en sorte que ceux qui ont plus, et en particulier dans un pays où les écarts de salaires sont scandaleux, soient davantage sollicités. Mais ils y trouveront leur intérêt. Vous savez, c’est pas pareil de vivre assis sur un volcan, comme c’est le cas aujourd’hui, avec en permanence la menace de grèves, d’insécurité juridique, d’insécurité fiscale: personne ne sait les dispositifs fiscaux qui vont sortir de la prochaine élection, d’où une frilosité des investisseurs. Pourquoi croyez-vous que la croissance française est en train de baisser et pourquoi croyez-vous que les emplois sont de moins en moins nombreux à être créés dans notre pays? Tout simplement parce qu’on s’approche d’une période de très grande incertitude.

Donc si vous voulez que les choses changent, créons un pacte social, créons un pacte républicain, rassemblons les Français ! Et moi qui fais partie des Français qui paient beaucoup d’impôts, ben écoutez, oui, ben je ne rechignerai pas à payer davantage d’impôts dès lors que je vivrai dans un pays où il fera meilleur vivre.

« Je veux qu’on change de pays ! J’estime que nous avons atteint les limites de l’insupportable dans un pays où la haine monte »

Vous savez, quand on voyage, on constate une chose. On arrive dans notre pays pour constater quoi dans la rue? Des visages fermés, des gens qui vous disent pas bonjour. On est un pays du tourisme. Eh bien, on ferait mieux d’avoir une attitude conforme à ce qu’exige le tourisme: l’ouverture à l’autre, le respect de l’autre, l’apprentissage de la culture de l’autre.

Je veux qu’on change de pays ! J’estime que nous avons atteint les limites de l’insupportable dans un pays où la haine monte. Alors si on veut connaître les dérives que connaissent certains pays du Nord, des dérives populistes, des dérives d’extrême-droite, si on veut continuer à avancer dans la voie qu’a ouverte le discours de Grenoble, ce que je dis, c’est qu’il n’y a pas de limite dans cette voie-là. La limite, c’est l’insupportable qui ne cesse de croître ! Et alors là, je vais vous dire, il ne fera pas bon vivre en France. (…)

« Aujourd’hui, l’homme politique français, il est impuissant »

C’est une dérive qui se situe depuis des décennies où la politique n’a pas été capable d’agir. La politique (et je le dis, et c’est pas une question de droite et de gauche) n’a pas les moyens d’agir ! Aujourd’hui, l’homme politique français, il est impuissant. Simplement, il est pas humble, donc il ne l’avoue pas.

Quand je suis entré à l’Elysée en 1995, le seul outil que j’avais dans mon bureau (Secrétaire général de l’Elysée, c’est un homme puissant, c’est l’un des hommes les plus puissants de France): une vieille console téléphonique ! Vous ne gouvernez pas la France avec un téléphone. Vous avez besoin d’outils, vous avez besoin de gens en situation de décision, vous avez besoin d’organes consultatifs qui vous appuient à la décision.

Tout cela fait défaut en France, parce que les politiques croient encore à la magie, à la seule magie du verbe, à la magie des choses. On croit que parce qu’on a fait un discours devant les Français, les choses sont réglées. Mais qui applique le discours? On a une fonction publique aujourd’hui qui doute d’elle-même, qui est maltraitée et méprisée. Il est temps de recréer un Etat en France, avec des fonctionnaires fiers de servir, des enseignants heureux de se lever le matin. Ben écoutez, il y a beaucoup à faire !

« Dans des périodes de crise, diviser les Français, c’est totalement irresponsable ! »

Oui, monter les Français les uns contre les autres, distinguer entre les Français nés en France ou ceux d’origine étrangère, c’est extrêmement dangereux et ça conduit à des actes insupportables comme ceux qu’on a vus en Norvège. Donc oui, nous devons être vigilants ! (…)

Certaines initiatives, certains mots ont pour conséquence de créer l’islamophobie. Donc une fois de plus, je ne veux pas rentrer moi-même dans une logique de bouc-émissaire, mais je dis qu’il y a une responsabilité des politiques qui ne se rendent pas compte qu’à utiliser certaines formules, qu’à employer certains mots, qu’à mettre en oeuvre des politiques qui chaque fois
semblent mettre le doigt ou pointer le doigt vers quelqu’un d’autre dans la communauté nationale, eh bien, on joue un jeu dangereux !

Vous savez, le discours de Grenoble, j’ai été le premier à dire: « c’est une tache de honte sur le drapeau français ! » Donc je n’ai pas ménagé mes mots. Je suis conscient sur le plan historique des dangers de jouer avec cela. Dans des périodes de crise, diviser les Français, c’est totalement irresponsable !

Hollande, Royal, Valls, Borloo, Bayrou: « Oui, nous avons besoin de travailler ensemble !’

Alors que chacun prenne ses responsabilités et que chacun essaie de faire la seule chose qui vaille: se rassembler, faire consensus. Et comme je prêche cela depuis de très nombreuses années, quelles que soient les voix qui aujourd’hui s’expriment, François Hollande, Ségolène Royal, Manuel Valls, à droite Jean-Louis Borloo, François Bayrou, je me réjouis: oui, nous avons besoin de travailler ensemble, ce qui ne veut pas dire que la gauche, c’est pareil que la droite et qu’on a tous vocation à être dans le gouvernement des uns ou des autres. (…)

Ben merci de m’avoir accueilli ! Voilà, j’espère n’avoir pas réveillé trop bruyamment nos auditeurs !

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