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Extrait du livre de Bruno Le Maire (1/3): Dominique de Villepin, un métier impossible

Dans son livre Des hommes d’Etat, à paraître la semaine prochaine aux éditions Grasset, Bruno Le Maire livre son récit des années 2005-2007, vues depuis Matignon.

Quelques extraits consacrés à Dominique de Villepin…

31 mars 2006: (La crise du CPE s’achève dans la douleur pour le Premier ministre)

Au déjeuner, Dominique de Villepin invite ses conseillers les plus proches, il sait que la partie est jouée et perdue. « Dans le fond, je suis né cinquante ans trop tard. Je n’aurais jamais dû faire ce métier. »

19 avril 2006

Ce n’est que maintenant, sur nos visages, dans nos esprits épuisés et abattus, que nous lisons les traces des mois de résistance pour rien. En partant retrouver le président, qu’il critique rarement, et toujours avec des mots qui, finalement, sonnent comme des excuses, Dominique de Villepin me dit: « Dans toute cette affaire, le président a été ambigu. Il ne sait pas ce qu’il veut. Il n’a jamais su ce qu’il voulait. Son seul but a toujours été la réélection: maintenant qu’il ne l’a plus, il ne sait pas quoi faire, il bute sur quelque chose qu’il ne comprend pas. »

25 avril 2006

Dominique de Villepin revient exaspéré de son entretien avec le président. « La jonction est faite: le président trouve Nicolas Sarkozy formidable. Il me critique, il critique mon entourage. Si dans deux mois je ne suis pas plus haut dans les sondages, il me remplace. Par MAM, par Sarkozy, par un proche de Sarkozy, n’importe. Il a peur. Il ne prendra aucun risque. »

14 septembre 2006 (Dominique de Villepin surprend ses collaborateurs en train de partager un repas)

« Alors, on dîne? – Nous parlions de votre candidature l’année prochaine aux législatives. – Les législatives! Mais non! C’est une erreur de vouloir être député! Il faut s’occuper de la France, c’est la France qui ne va pas. La France est comme un verre fêlé. Il faut la réparer avec des attelles en fer, mais on se demande si les attelles ne vont pas casser le verre. Je vais vous dire: j’étais à Montargis il y a trois mois, un samedi, pour une visite privée avec Marie- Laure. Il était 1 h 30, la ville était déserte. Marie-Laure demande à une vieille femme s’il n’y aurait pas un restaurant ouvert dans le coin. Elle lui répond: « A cette heure, ça va être difficile. » Et puis elle me regarde, elle dit: « Dites donc, il ressemble drôlement au Premier ministre votre mari! – C’est normal, c’est le Premier ministre. » Vous savez ce qu’elle lui répond, la vieille femme: « Ah! Mais certainement pas! S’il était Premier ministre, il ne viendrait pas à Montargis un samedi à 1 h 30!  » Et vous voulez que je sois député? De la distance, la France, pas le particulier, la France. »

27 octobre 2006 (Jacques Chirac, depuis la Chine, ne défend pas son Premier ministre, empêtré dans l’affaire Clearstream)

Dominique de Villepin entre abattu dans mon bureau. « Ce que le président m’a fait là, c’est une très mauvaise manière. Qu’est-ce que ça lui aurait coûté de faire rouler la balle? Depuis des années je le protège, je le défends. Et lui n’est même pas capable de dire une phrase pour moi? »

9 novembre 2006

Après le déjeuner, Dominique de Villepin s’affale dans le fauteuil de son bureau, allonge les jambes, croise les bras derrière la nuque. « Vous savez, je vous le dis à vous qui vous présentez à une élection, la vie politique, c’est se concentrer sur des choses qui n’en valent pas la peine. Mon erreur aura été de consacrer trop de temps à l’essentiel. Je n’ai plus le courage. Je n’ai plus l’envie. » Il regarde le plafond. « Ce que dit Sarkozy est intéressant. Dans le fond, nous aurons joué chacun le même rôle auprès du président, moi en gentil, lui en méchant. Et le résultat est le même. »

22 mars 2007 (Dominique de Villepin arrive à l’Elysée. Avant de sortir de la voiture, il se tourne vers Bruno Le Maire)

« Je serai heureux de quitter tout ça. Si vous saviez comme je suis soulagé. La politique est un rétrécissement: toujours les mêmes personnes, les mêmes visages. » Il descend, monte quatre à quatre les marches du perron entre deux rangées de gardes républicains sabre au clair. « Et tous ces chapeaux à plume, ces uniformes, ces cérémonies, vraiment je n’en peux plus, c’est fini: ce n’est pas la vie. »

Source: Des hommes d’Etat, par Bruno Le Maire (éditions Grasset) – extraits cités dans L’Express

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