« Les ennuis commencent. » Xavier Bertrand pourrait le dire en cette semaine sociale à haut risque, marquée par la grève dans les transports, ce jeudi 18 octobre. Mais ces mots datent d’il y a cinq mois, de ce 18 mai où Nicolas Sarkozy l’a placé sur un siège éjectable, celui de négociateur en chef de quatre des principales réformes promises par le candidat : le service minimum, les régimes spéciaux, le contrat unique et, en 2008, le régime général des retraites. Le « Negociator » du quinquennat.
Son ralliement précoce à Nicolas Sarkozy, fin novembre 2006 dans Le Figaro, a fait de lui le vainqueur de la course des quadragénaires de droite et lui vaut leur rancoeur éternelle. « Qu’est-ce que j’avais à perdre ? Dans ‘Le Figaro’, j’y suis allé franco : j’avais dit que je ne ferais pas les choses à moitié », se défend l’intéressé. Bingo : le candidat fait de lui son porte-parole et, cinq mois plus tard, son ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité, chargé des dossiers sociaux, parmi les plus sensibles du quinquennat.
La force de Xavier Bertrand, qui fait de lui un vrai politique, c’est de ne pas s’attacher. Séguin, Juppé, Chirac, Raffarin, Sarkozy : il a pris appui sur chacun, l’un après l’autre. Sans ciller, il confirme : « Je ne suis pas proche de Juppé, je ne suis proche de personne. Certes, Juppé est la première personne qui m’a fait confiance et je m’en souviens. Raffarin aussi, je lui suis reconnaissant. Je suis fidèle par la reconnaissance. »
Entre Nicolas Sarkozy et lui, il n’y a donc pas d’affectif, comme il peut y en avoir avec d’autres ministres du gouvernement. « Il m’apporte la rondeur que je n’ai pas », soulignait le candidat pendant la campagne, dans une allusion au physique de son nouveau porte-parole. Après la victoire, Xavier Bertrand se serait bien vu au budget mais Nicolas Sarkozy a voulu éprouver sa réputation de négociateur gagnée lors de son passage au ministère de la santé, de 2004 à 2007. Il y a amadoué les médecins libéraux, imposé les médicaments génériques aux laboratoires pharmaceutiques, fait cheminer en douceur l’interdiction de fumer.
Rue de Grenelle, Nicolas Sarkozy n’attend rien d’autre de lui : apporter de la rondeur dans les discussions frontales que le président de la République a choisi de mener avec les syndicats.
Mauvais casting ? « Il a un bilan en trompe-l’oeil », rectifie un de ses rivaux, ancien ministre. « Regardez le déficit de la Sécurité sociale cette année, c’est son bilan. Si j’étais méchant, je dirais que Douste a fait plus de travail que Bertrand… », poursuit-il. Ses détracteurs sont nombreux, y compris au sein du gouvernement. « Il a un caractère difficile. Il n’a pas le caractère de son physique ; c’est un faux rond, faux consensuel, il est extrêmement brutal », affirme un ministre.
Sans aller jusque-là, un spécialiste des relations sociales, qui a longtemps travaillé avec Gérard Larcher, prédécesseur de M. Bertrand, explique : « C’est un pro des relations sociales. Mais il campe dans sa logique. Quand il fait une réforme, il va jusqu’au bout. » Autrement dit par Jean-Christophe Le Duigou, responsable du dossier retraites de la CGT : « Il veut convaincre, mais lui-même ne se laisse pas convaincre. Alors ça ne peut pas marcher. »
Ce syndicaliste a eu affaire à Xavier Bertrand en 2003, lors de la préparation de la réforme des retraites, avant de le revoir sur les régimes spéciaux. « Sous des abords avenants, il est très militant et déterminé », dit-il encore. Avant d’ajouter, en souriant : « On peut discuter facilement avec lui, même s’il est très bavard : mais pour le faire changer d’avis, c’est autre chose. »
En contact avec lui, notamment sur le délicat dossier des retraites, le numéro un de la CFDT, François Chérèque, lui reconnaît, comme ses homologues syndicalistes d’ailleurs, un certain professionnalisme. Véritable signe distinctif du ministre du travail, « il est facile à joindre, disponible », dit M. Chérèque. Il est vrai que le portable du ministre sonne souvent, même si celui-ci préfère les SMS. Pour autant, cela ne fait pas tout et le syndicaliste attend du concret. « C’était un vendeur d’assurances, s’amuse-t-il, donc, pour lui, tout est bon. »
Cette allusion facile à son passé d’agent d’assurance, Xavier Bertrand l’entend depuis qu’il s’est lancé à la conquête de la capitale. En juin 2002, le nouveau député UMP, débarqué de Saint-Quentin (Aisne), ne fait encore peur à personne. « Vous n’êtes qu’un député sur 365… ça va être dur d’exister », rigole un journaliste qu’il croise. La « tortue » Xavier Bertrand, comme il se décrit lui-même à l’époque, théorise déjà sa stratégie, à l’opposé de celle des lièvres de son parti : « Rien ne sert de briller, il faut savoir durer. »
Lui-même s’est longtemps voué à une carrière locale : « Je ne suis pas diplômé d’une grande école, je n’appartenais pas à une écurie présidentielle », justifie-t-il. Militant RPR depuis l’âge de 16 ans, tendance Séguin, diplômé en droit, fils de cadres de banque, adjoint au maire de Saint-Quentin (Aisne), attaché parlementaire du sénateur Jacques Braconnier, il se retrouve sur les bancs de l’Assemblée nationale grâce à la vague « bleue » de 2002.
Pendant ses premières semaines au Palais-Bourbon, Xavier Bertrand observe, pousse les portes des commissions, fait savoir qu’il veut travailler. Michel Bettan, conseiller auprès du rapporteur général de l’Assemblée, observe l’activisme du novice avec un certain amusement : « Des comme lui qui, en début de mandat, nous disent : « Je veux changer les choses », on en voit plein… mais lui, il ne plaisantait pas… » Depuis, Michel Bettan en a fait son mentor : il est aujourd’hui son conseiller politique et son chef de cabinet.
En observant le microcosme de l’Assemblée, le jeune député Xavier Bertrand se dit que, finalement, Paris est à sa mesure. Pour se faire une place, il a un secret : il ne dort pas. Ou presque. Quatre heures par jour, dit-il. Il travaille beaucoup, il apprend vite, il est discret : Alain Juppé verra en lui un alter ego et lui confiera, en 2002, une mission sur la réforme des retraites pour l’UMP. Un an plus tard, il devient rapporteur du projet de loi de François Fillon sur les retraites pour la commission des finances. En 2004, il entre dans le gouvernement Raffarin.
Trois ans plus tard, il est toujours ministre et, à 42 ans, après la naissance de jumeaux, il est désormais père de trois enfants. Et dort toujours aussi peu. Un atout pour les nuits blanches que lui promettent les syndicats ?
Source: Rémi Barroux et Christophe Jakubyszyn