Après l’ADN, les sans-papiers. Le projet de loi sur l’immigration est une nouvelle fois objet de polémique. En cause ? Un amendement restreignant l’accès des sans-papiers aux centres d’hébergement d’urgence. L’amendement incriminé modifie l’article 4 de la loi du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable, la loi présentée par Dominique de Villepin et Jean-Louis Borloo.
Cette fois, c’est Martin Hirsch, Haut Commissaire aux solidarités actives et ancien président d’Emmaüs, qui élève la voix: lui au moins, l’ouverture ne l’a pas fait renoncer à ses convictions profondes !
Le Haut Commissaire aux solidarités actives, Martin Hirsch, a jugé « inacceptable » vendredi la nouvelle disposition votée par le Sénat visant à interdire l’hébergement d’urgence aux sans-papiers. « Les centres d’hébergement doivent être là pour héberger ceux qui en ont besoin« , a déclaré M. Hirsch sur Europe 1.
Relayant les préoccupations de plusieurs associations, l’ancien président d’Emmaüs a estimé que le texte, voté dans la nuit de jeudi à vendredi, « pose problème ».
Il avait déjà déclaré après l’adoption par l’Assemblée nationale du projet de loi sur l’immigration, le 20 septembre, qu’il n’était « pas favorable » aux tests ADN pour prouver une filiation, un autre amendement du député UMP Thierry Mariani au projet de loi sur la maîtrise de l’immigration de Brice Hortefeux.
Pour M. Hirsch, le dispositif qui veut réserver l’hébergement d’urgence aux seules personnes en situation régulière n’est pas « acceptable ». Il l’a même qualifié de « discriminatoire« .
Il s’est entretenu vendredi avec M. Hortefeux « pour trouver une solution ». « Il faut arriver à trouver quelque chose, a-t-il dit, soit par la suppression de cette disposition, soit par une autre disposition qui permettra que les associations puissent travailler dans des conditions conformes à leurs valeurs ». Au ministère de l’Immigration, on a confirmé cet entretien mais on n’était pas en mesure d’indiquer vers quelle « solution » on s’orientait.
Selon le Secours Catholique, dont le secrétaire général Pierre Levené a été reçu vendredi matin par M. Hirsch, celui-ci a assuré l’association « de sa détermination à faire supprimer la disposition« .
Au début de la semaine, Emmaüs France, l’association Emmaüs, la Fondation Abbé Pierre, la Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale (Fnars, qui représente 85 % des centres d’hébergement) et la Cimade (Service oecuménique d’entraide) avaient solennellement demandé aux sénateurs de s’opposer à cette disposition.
« On ne peut imaginer que, dans le pays des droits de l’homme, les personnes qui sont à la rue et en situation irrégulière ne puissent trouver un abri« , avaient-elles plaidé.
« Si un tel projet venait finalement à être retenu par les deux chambres, ce sont toutes nos traditions républicaines d’accueil et de respect de la personne humaine qui seraient remises en cause« , avait plaidé, en début de semaine, la Fondation Abbé Pierre.
L’amendement incriminé, présenté par M. Mariani, modifie l’article 4 de la loi du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable et vise à réserver le droit au maintien en hébergement d’urgence de moyenne durée – dit de stabilisation – aux « personnes en séjour régulier ».
Dans l’exposé des motifs de cet amendement, M. Mariani faisait valoir que ce type d’hébergement- qui dure trois mois au plus – ne peut être accessible qu’à des personnes en séjour régulier, sous peine d’alimenter un flux d’immigration motivé par le souhait de bénéficier de la +stabilisation+ comme prélude au droit au logement opposable « .
L’amendement, passé inaperçu, avait été adopté à l’assemblée. Devenu l’article 21 de la loi sur l’immigration, il a été adopté, légèrement modifié, au petit matin vendredi au Sénat. Dans sa nouvelle mouture, l’article prévoit d’annuler la possibilité, pour un sans-papiers qui aurait été hébergé en centre d’urgence, d’être ensuite orienté « vers une structure d’hébergement stable ou de soins, ou vers un logement ».
Pour les associations, cela revient à restreindre l’accès des sans-papiers aux centres d’hébergement d’urgence.
Pour calmer la polémique, le ministre de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale et du Co-développement, Brice Hortefeux, la ministre du Logement et de la Ville, Christine Boutin, et Martin Hirsch, dans un communiqué commun rendu public vendredi soir, assurent que « le droit pour toute personne d’être accueillie dans une structure d’hébergement d’urgence n’est pas remis en cause », sans toutefois préciser la durée dudit hébergement.
L’amendement voté par le Sénat est pourtant bien confirmé. Les personnes concernées « ne peuvent faire valoir un droit à un logement au titre de la loi DALO (Droit au logement opposable, qui donne la possibilité aux personnes dans l’incapacité de trouver un logement décent d’engager un recours devant les tribunaux) si elles ne peuvent pas justifier de la régularité de leur séjour en France », précise-t-on ainsi dans le communiqué.
Vendredi soir, le flou demeurait donc sur les conséquences réelles d’un tel dispositif. Sûrement conscient du problème, Brice Hortefeux a annoncé qu’il recevra lundi les associations caritatives afin « d’entendre leurs analyses et lever leurs interrogations ».
L’annonce du vote de cet amendement avait provoqué un véritable tollé vendredi.
« L’abbé Pierre l’avait dit: ‘Si une loi est injuste, vous n’êtes pas obligés de l’appliquer. Eh bien, c’est exactement ce qui va se passer si cette loi est adoptée en l’état par le Parlement », a ainsi prévenu vendredi le délégué général de la Fondation Abbé Pierre, Patrick Doutreligne, avant de s’interroger: « Tout le monde s’est focalisé sur l’ADN, et quelque part, on se demande si ça n’a pas été un écran de fumée pour faire passer autre chose. »
La porte-parole d’Emmaüs France, Valérie Fayard, évoque quant à elle un article « inadmissible » et rappelle que la base de l’action de son association repose sur « l’accueil inconditionnel d’une souffrance, quelle que soit la situation administrative ou le parcours des personnes en détresse« .
Associations et opposition attendent désormais le verdict de la Commission mixte paritaire, composée de sept députés et de sept sénateurs, qui doit se réunir la semaine prochaine pour élaborer un texte commun aux deux assemblées. Réponse le 23 octobre, lors du vote final des parlementaires.
Sources: AFP et Journal du Dimanche