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Clearstream: Le jour le plus long

Dominique de Villepin est arrivé à pied au pôle financier du TGI de Paris jeudi matin afin d’y être entendu pour la première fois depuis sa mise en examen le 27 juillet par les juges de l’affaire Clearstream, Messieurs d’Huy et Pons. Il a déclaré aux journalistes que l’affaire Clearstream « n’est pas une affaire politique », ajoutant qu’il avait déposé mercredi auprès des deux juges d’instruction un dossier « expliquant ce qu’était pour (lui) la réalité de ce dossier ». Face aux nombreux journalistes, M. de Villepin a ajouté: « je fais confiance à la justice pour dire le droit, pour dire la vérité et la justice avec sérénité ».

Pour sa défense, l’ancien Premier Ministre a décidé de contre-attaquer en adressant, avant son audition, une note de 23 pages dans laquelle il décrypte sa version de l’affaire. De leur côté, les juges auraient quelque 80 questions à lui poser et n’auraient pas déposé au dossier les éléments saisis à son domicile lors d’une perquisition.

L’audition de l’ex-Premier ministre s’est achevée à 19H30 après huit heures d’interrogatoire avec les juges Jean-Marie d’Huy et Henri Pons. « L’audition d’aujourd’hui a permis de faire un grand pas vers la manifestation de la vérité », a estimé M. de Villepin à la sortie du pôle financier du tribunal de grande instance de Paris. « Nous n’avons pas pu aborder aujourd’hui l’ensemble des questions », a-t-il précisé. « Les magistrats ont souhaité reporter à une séance ultérieure les questions restantes et donc une deuxième audition est prévue dans le courant du mois d’octobre ».

« L’affaire Clearstream n’est pas une affaire politique. Je fais confiance à la justice pour dire le droit, pour dire la vérité et la justice avec sérénité », a déclaré à la presse l’ancien chef de gouvernement de Jacques Chirac, qui est arrivé à pied, à 09H50 dans les locaux du pôle financier, rue des Italiens à Paris (IXe arrondissement) accompagné de ses avocats Mes Olivier d’Antin et Luc Brossollet.

M. de Villepin est poursuivi pour « complicité de dénonciation calomnieuse, recel de vol et d’abus de confiance et complicité d’usage de faux ».

Il est soupçonné par les juges Jean-Marie d’Huy et Henri Pons d’avoir participé à une conspiration visant à déstabiliser l’actuel chef de l’Etat, Nicolas Sarkozy, partie civile dans ce dossier.

Dans une note adressée mercredi aux magistrats instructeurs, M. de Villepin réfute cette thèse estimant notamment que le dossier n’est pas politique, mais qu’il s’agit d’une manipulation industrielle sur fond de succession à la tête du géant aéronautique européen EADS.

De leur côté, les deux magistrats ont planifié l’interrogatoire depuis qu’ils ont reçu, à la fin du mois de juin, les résultats d’une expertise de l’ordinateur du général Philippe Rondot, témoin clé de l’affaire.

Ces notes suggèrent une implication de M. de Villepin dans une manipulation qui a consisté à dénoncer faussement la présence de personnalités, dont M. Sarkozy, dans un listing bancaire de la chambre de compensation Clearstream.

Jean-Louis Gergorin, ex-vice président d’EADS, mis en examen dans le dossier, a notamment affirmé aux magistrats en juillet avoir transmis de manière anonyme le fameux listing au juge Renaud van Ruymbeke à la demande de M. de Villepin, qui lui aurait fait part d’une « instruction » du président Chirac.

Les questions des juges devraient porter sur ces derniers développements.

Dans la note de 23 pages envoyée aux juges de l’affaire Clearstream, Dominique de Villepin répète ses protestations d’innocence et estime que le dossier a été « privatisé » au profit de Nicolas Sarkozy.

« Ce dossier peut être considéré comme privatisé au profit d’une seule partie civile », écrit-il dans cette note révélée par Europe 1 mercredi, veille du premier interrogatoire de l’ancien chef du gouvernement en qualité de suspect.

« La sérénité et l’indépendance de la justice sont-elles possibles quand on sait que le président de la République est LA partie civile, qu’il a autorité sur la chancellerie et a la capacité à tout moment de donner des instructions dans un dossier qui le concerne personnellement ? N’est-il pas de ce fait juge et parti et cela étonne-t-il quiconque dans cet Etat de droit ? », ajoute-t-il.

« On peut constater la force avec laquelle Nicolas Sarkozy s’est présenté en victime et même en seule victime de ce dossier et, concomitamment, la rapidité avec laquelle l’attaque a été lancée contre moi, sans aucun élément de preuve concret, mais en s’appuyant sur un pseudo +mobile+ politique », constate dans sa note l’ancien Premier ministre en suggérant une autre lecture du dossier.

« Si j’avais intérêt à nuire à Nicolas Sarkozy, ne peut-on imaginer que Nicolas Sarkozy avait intérêt à me nuire? », écrit l’ex-Premier ministre.

Il suggère que le nom de Nicolas Sarkozy a été placé pour lui nuire sur les faux listings de la société Clearstream par d’autres que lui et affirme qu’il n’est donc pas l’instigateur du complot.

Dans ce document-communiqué, Dominique de Villepin insiste encore sur le fait que Nicolas Sarkozy était informé très tôt des dessous du dossier Clearstream, contrairement à ce qu’il a toujours affirmé.

Pour M. de Villepin, Nicolas Sarkozy n’a pas dit toute la vérité sur sa connaissance de l’affaire.

Il « affirme avoir appris (son) existence quelques jours avant la sortie de l’article du Point (le premier publié, ndlr) soit au début du mois de juillet 2004″, rappelle M. de Villepin selon qui « des éléments du dossier remettent en cause cette chronologie ».

« Il semble que M. Sarkozy ait été informé très tôt, et au plus tard au mois de mai 2004, des agissements de Jean-Louis Gergorin ainsi, vraisemblablement de la mission des vérifications confiée au Général Rondot », écrit l’ancien Premier ministre citant notamment un témoignage de Charles Pasqua.

« Dans sa déposition, M. Pasqua évoque la discussion qu’il a eue avec Nicolas Sarkozy au sujet d’une +machination+ qui, selon ce dernier, était destinée à l’empêcher d’être candidat aux présidentielles », dit-il en précisant que « M. Pasqua a daté cet entretien au premier trimestre 2004.

« Il paraît utile, dans le cadre de la manifestation de la vérité, d’établir avec précision ce qu’elle (la partie civile: M.Sarkozy) a su et quand elle l’a su », estime M. de Villepin.

Le deuxième point de la note de Dominique de Villepin s’efforce de démontrer que l’origine du dossier est industrielle et non pas politique. Il vise directement les luttes internes qui animaient en 2003-2004 la vie interne à EADS. Mais là encore, l’ancien chef du gouvernement n’épargne pas Nicolas Sarkozy. Si celui-ci « a été une cible, écrit-il, ce n’est pas une cible politique, mais une cible industrielle, du fait de son influence personnelle au sein du groupe Lagardère ».

La note entreprend ensuite un récit des luttes de clan au sein de la direction d’EADS, où Nicolas Sarkozy se voit prêter un rôle qui lui aurait valu en retour, selon Dominique de Villepin, d’être l’objet d’une machination.

Selon lui, si le nom de Nicolas Sarkozy est cité, c’est en raison de ses anciennes fonctions de ministres du Budget puis de l’Economie et ses liens avec le groupe Lagardère.

« Nicolas Sarkozy pouvait constituer une cible du fait de son influence personnelle sur le groupe Lagardère ». Il était « susceptible de peser » dans la bataille pour le choix du président d’EADS, entre Noël Forgeard (qui sera désigné) et Philippe Camus (soutenu par Jean-Louis Gergorin, ndlr), écrit M. de Villepin.

« Le projet d’aller voir un juge se situe quand Nicolas Sarkozy est ministre de l’Economie (…) en position de force pour trancher cette question épineuse », rappelle M. de Villepin. « 

« Doit-on en conclure qu’il a pu apparaître nécessaire au(x) manipulateur(s) pour nuire à Noël Forgeard, d’inscrire Nicolas Sarkozy sur les listings?. C’est une interprétation possible », dit-il.

Dominique de Villepin joint à son mémo deux lettres de Jean-Louis Gergorin, datées de novembre 2004, où celui-ci se défend d’être le corbeau de l’affaire, et où il insiste sur le soutien qu’apporterait Nicolas Sarkozy à Noël Forgeard, dans son ambition de succéder à Philippe Camus à la présidence d’EADS.

Le troisième volet concerne plus directement l’instruction et vise les aspects le mettant directement en cause. Il nie ainsi de façon catégorique avoir donner des « instructions » à Jean-Louis Gergorin de communiquer les fameux listings à la justice. De même, il conteste les multiples rendez-vous qu’il aurait eus avec Jean-Louis Gergorin, pourtant confirmés par le général Rondot.

« La justice est-elle encore possible dans ce dossier ? Je veux le croire mais il y a un quadruple handicap », écrit Dominique de Villepin, qui cite notamment les fuites dans la presse et ce qu’il appelle » les pressions sur la police judiciaire.

Dominique de Villepin semble en tout cas vouloir donner le tempo à une nouvelle période de l’affaire. L’interrogatoire d’aujourd’hui ne sera donc qu’un épisode d’un feuilleton qui s’annonce encore très long…

Sources: Le Figaro, AFP et Reuters

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