Dominique de Villepin était, jeudi soir, l’invité de la seconde partie de l’émission « A vous de juger » présentée par Arlette Chabot sur France 2.
Vous pouvez revoir l’émission en cliquant ici. La deuxième partie de l’émission, consacrée à la Tunisie, démarre après 1h33 minutes.
Sur le rôle de la diplomatie
« Je pense que (…) c’est bien la responsabilité de la diplomatie que de façonner l’histoire. Si la diplomatie n’est pas aux avant-postes, si elle n’a pas pour vocation d’ouvrir des chemins, alors elle ne joue pas son rôle. Et c’est bien là l’opposition que l’on peut faire entre une diplomatie de position… C’est un des aspects du travail diplomatique: faire des communiqués… alors régulièrement la diplomatie déplore, elle regrette, elle souligne, elle espère… Mais c’est une toute petite partie de la diplomatie: la diplomatie, elle a aussi pour mission que d’ouvrir des chemins, comme je le disais, et donc de rendre possible, de permettre à un certain nombre de potentialités d’advenir. »
Sur notre diplomatie dans la crise tunisienne
« Je pense qu’elle a été en partie tétanisée. Elle a manqué d’outils, de leviers. Elle a manqué d’appuis. Et c’est là où on voit à quel point il faut préparer ce type d’échéances, avoir des contacts, des interlocuteurs, bâtir des éléments alternatifs. Tout ceci se prépare, et en l’occurrence, cela a manqué à l’évidence. Mais je crois qu’il serait injuste de faire le seul procès du gouvernement actuel. C’est une politique qui a duré pendant des décennies. »
Sur notre prise de conscience tardive
« J’ai regretté la complaisance. Les choses se sont accentuées avec les années et l’aspect policier et répressif du régime tunisien n’a fait que s’accroître. L’accaparement par un clan, une famille sur les richesses de la Tunisie s’est accru avec le temps. Mais ce qui est vrai, c’est que la vision, la priorité donnée avec le temps à la stabilité, la peur de l’islamisme, la comparaison avec un certain nombre de situations autres au Moyen-Orient, le mauvais exemple donné par les Américains qui ont cherché à imposer la démocratie par la force en Irak: tout cela a retardé une prise de conscience et ça doit nous conduire à en tirer toutes les leçons aujourd’hui. »
Sur le caractère inédit des événements en Tunisie
« Pour essayer d’apprécier les marges de manoeuvre et ce qui peut être fait, il est important de noter, parce que c’est une des grandes clés d’explication de la puissance des chancelleries occidentales, il est important de noter que nous sommes devant des situations que nous n’avons pas connues dans le passé. La diplomatie, elle se nourrit d’exemples. Or l’idée d’une révolution démocratique, populaire, dans le monde arabe, c’est une nouveauté. Et nous sommes instruits d’un certain nombre de précédents qui nous font réfléchir: le processus de démocratisation qui s’était engagé en Algérie et qui a conduit à un fort regain de l’islamisme, l’évolution de la révolution iranienne qui, elle-même, s’est traduit par un risque majeur au sein du Moyen-Orient… Donc nous sommes là devant une donnée nouvelle, alors même que tout le monde pensait, et en grande partie un certain nombre d’experts, que c’était impensable. L’idée de différentialisme, l’idée que la culture du monde arabe, l’idée que cette civilisation si particulière n’était pas susceptible d’enfanter la démocratie… Là, nous avons un espoir qui naît et nous devons donc le conforter. »
Sur la lenteur de la réaction internationale
« Moi, ce qui me surprend, c’est la très grande lenteur de la communauté internationale à se mobiliser pour proposer, non pas de se substituer au peuple tunisien qui fait très bien ce qu’il a à faire, mais pour accompagner, pour offrir des leviers. Et c’est sans doute là que nous avons une des grandes clés de la diplomatie: ce que nous aurions pu faire avant, c’est d’identifier des leviers qui nous permettent d’agir plus efficacement. Un exemple: les relations d’Etat à Etat. La France reconnaît des Etats, ne reconnaît pas des régimes, des gouvernements. (…) C’est la clé de la pratique diplomatique française. Or, nous aurions pu nouer des relations plus diverses et plus en profondeur avec la société tunisienne. Or, ce tête-à-tête dans lequel nous nous enfermons avec les dirigeants (quand ils sont bons, c’est très bien, quand ils sont mauvais, c’est plus dangereux !) fait que nous sommes coupés d’une partie des réalités et c’est en cela que la Françafrique au sens large, notre relation avec les pays africains, ne prend pas en compte la jeunesse de ces pays, ne prend pas en compte la montée des intellectuels, ne prend pas en compte la diversité sociale. Donc nous avons à faire un travail pour avoir des racines beaucoup plus fortes et donc des points d’appui beaucoup plus forts vis-à-vis de ces communautés et de ces sociétés. »
Sur l’absence de marges de manoeuvre des ambassadeurs
« Nous avons vu assez souvent des ambassadeurs renvoyés à la demande des Chefs d’Etat de leurs pays, parce que ces ambassadeurs avaient des contacts avec les oppositions et déplaisaient. (…) C’est pour cela que ce sont des exercices extrêmement difficiles, il faut le dire, d’application difficile. »
A suivre …