Avant de présenter le livre « Aimé Césaire, citoyen de la République des hommes » qu’il a préfacé, Dominique de Villepin livre d’abord son sentiment sur le poète et l’héritage qu’il a légué, mais aussi sur la politique actuelle de la France ou son avenir personnel.
Vous venez pour la présentation d’un ouvrage écrit par des lycéens « Aimé Césaire, citoyen de la République des hommes » . Qui était-il pour vous ?
J’ai eu la chance de rencontrer plusieurs fois Aimé Césaire, ici, sur son île. J’ai un souvenir intense de chacune de ces visites dans son bureau de l’ancienne mairie de Fort-de-France. Je venais voir le poète qui avait ancré son rocher, comme il disait de la Martinique, dans l’universel de la pensée et de la fraternité. Mais le poète était aussi un citoyen exemplaire, ouvert aux autres et soucieux de la Martinique, de la France et de la marche du monde. Il incarne profondément ainsi la destinée de la Martinique. C’est pourquoi j’ai été très heureux d’avoir été sollicité par ces élèves qui ont accompli un travail passionnant. Quelle meilleure éducation civique que de s’appuyer sur des citoyens exemplaires comme Aimé Césaire ? Ce qu’il nous a légué, c’est un humanisme exigeant, chaleureux, qui accepte le conflit parce qu’il fait partie de la vie et qu’il peut permettre de dépasser les positions irréconciliables.
Vous avez créé République Solidaire. Comment faire entendre le message qui est le vôtre alors qu’à la Martinique chacun regarde en direction de la future Collectivité unique ?
J’ai toujours été très attaché à nos départements d’Outre-mer, dans le sillage de Jacques Chirac, qui a toujours été un ami de la Martinique, parce que je sais ce que ces départements ont apporté à l’histoire de notre pays et je sais qu’ils sont aussi une part importante de son avenir. Je sais aussi les doutes et les difficultés qu’ils traversent. Je regrette qu’en métropole l’attention soit souvent de courte durée ou déformée par les idées reçues. C’est seulement en venant ici, à la rencontre des Martiniquaises et des Martiniquais, qu’on peut prendre la pleine mesure des enjeux et des attentes. Et quand j’écoute les habitants, il me semble que la République et la solidarité sont bel et bien au coeur de tous les questionnements, ici comme en métropole. Par ailleurs, je crois qu’il faut prendre conscience aussi du fait que ce qui se passe en Martinique et aux Antilles avec la collectivité unique peut être une démarche exemplaire de modernisation de nos territoires pour sortir d’une logique uniforme et hiérarchisée et se poser avant tout la question : quel est le meilleur échelon pour résoudre efficacement les problèmes du quotidien. Nous avons plus que jamais besoin d’audace. Si nous voulons remettre la France et ses départements d’Outre-mer à l’endroit, nous devons nous fixer trois exigences centrales qui sont les conditions de notre capacité à vivre ensemble, la justice sociale, l’autorité de l’État, pour lui permettre d’assumer son rôle d’impartialité et de protection, et enfin l’indépendance de la France, pour conserver notre singularité et notre identité.
Vous n’avez pas ménagé Nicolas Sarkozy récemment. Pensez-vous convaincre ainsi suffisamment de Martiniquais et d’autres habitants de l’Outre-mer pour lui barrer la route en 2012 ?
Je refuse de personnaliser le débat politique, l’essentiel pour moi est la défense de l’intérêt général. L’enjeu, c’est d’ouvrir une nouvelle étape pour proposer une alternative crédible qui permette à la France dans les dix ou vingt prochaines années de retrouver une place à sa mesure dans le monde, de rester fidèle à ses principes fondateurs, de renforcer sa cohésion sociale et de protéger les citoyens des dangers qui les menacent. C’est vrai, je suis inquiet aujourd’hui quand je vois la France s’enliser dans les erreurs et le statu quo. Le remaniement gouvernemental est à cet égard un triste exemple de l’agitation d’aujourd’hui. L’élection de 2012 ne sera pas une élection comme les autres. Je ne crois pas qu’on puisse se satisfaire d’une vie politique monotone, étouffée par des grands partis qui mettent bout à bout des propositions sur tout et n’importe quoi pour plaire à tout le monde. Ce qui compte dans les temps difficiles, c’est d’avoir une vision, de savoir la partager dans le rassemblement et d’avoir le courage de tenir un cap. Lorsque je regarde les personnes qui se mettent en avant aujourd’hui, je ne vois pas une telle capacité. Je m’inquiète aussi quand je vois se creuser les divisions, les frustrations et le sentiment d’humiliation au lendemain de grands conflits sociaux. C’est pourquoi il me semble essentiel que les citoyens eux-mêmes se mobilisent pour le changement. Les défis que nous avons à affronter sont les mêmes en métropole et Outre-mer : le chômage de masse, la situation d’une jeunesse sans perspectives et sans espoir, le défi de la compétitivité dans une économie mondiale en changement rapide, source de confrontations de plus en plus intenses. Il est temps de reprendre espoir.
Source: France-Antilles