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Sortie cette semaine de "Quai d'Orsay" chez Dargaud: Interview de Dominique de Villepin au magazine Casemate (2/3)

La rédaction du magazine Casemate, magazine consacré à la BD, nous autorise à reproduire des extraits de l’interview que lui a accordée Dominique de Villepin, à l’occasion de la sortie cette semaine de Quai d’Orsay chez Dargaud. Pour lire l’interview dans son intégralité, le numéro 26 du magazine Casemate est en vente dans les kiosques jusqu’au 28 mai.

Deuxième partie de l’interview de Dominique de Villepin: « Au moment où a le sentiment qu’on n’y arrivera plus, au quarante-cinquième projet d’un discours, on trouve tout à coup. Et ce n’est qu’une étape du combat ! »

Casemate: Le ministre de Quai d’Orsay est quand même singulièrement exigeant !

Dominique de Villepin: Il faut constamment pousser chacun à se dépasser, mais il faut donner l’exemple. On ne peut pas tout faire tout seul quand on est ministre, il y a mille dossiers et mille rendez-vous, des échéances lourdes qui demandent du temps et de la concentration et, quand vous prenez la parole cinq fois par jour, vous ne pouvez pas vous concentrer à fond, la veille, sur cinq sujets !
(…)
Un cabinet, c’est neuf fois sur dix la répétition des habitudes et des jeux de cour. Alors, il faut bouger, car personne ne fait tout bien tout le temps. Il faut stimuler, faire valoir l’objectif, montrer que l’on sert quelque chose de plus grand que nous… Et on ne peut pas se permettre d’avoir des passages à vide. Le ministre est celui qui remet des bûches dans l’âtre pour que l’esprit circule à nouveau.

Tous les membres du cabinet semblent à la fois habités par un feu intense et écrasés par leur tâche

C’est en effet un balancement particulier, et pour chacun. Chacun se rend compte que la tâche est gigantesque, qu’on a face à nous des diplomaties qui sont aussi en train d’essayer de faire bouger les choses que nous devons être en avant. (…)
Jeune, j’ai été confronté à une situation d’enfants qui se noyaient à marée montante devant la propriété familiale à Saint-Briac en Bretagne. Avec mon frère aîné, on a sauté à l’eau pour essayer de les sauver et j’ai cru à un moment qu’on n’arriverait pas à rejoindre ces gamins qui étaient sur un îlot de sable et que la mer emportait. Et on a nagé, nagé, nagé jusqu’à plus force et au dernier moment on a réussi à attraper ces enfants. Je me suis toujours dit que c’est une bonne image pour la vie: finalement, c’est la brasse de plus, l’effort de plus qui permet d’arriver de l’autre côté. Au moment où a le sentiment qu’on n’y arrivera plus, au quarante-cinquième projet d’un discours, on trouve tout à coup. Et ce n’est qu’une étape du combat !

Justement, Quai d’Orsay décrit combien chaque discours du ministre est perpétuellement recommencé.

(…) J’ai toujours pensé que la préparation d’un discours est un processus vivant et qu’il faut constamment être capable de s’adapter. D’ailleurs, la matière internationale est vivante et quand vous êtes sur le coeur des crises, ce que vous avez préparé la veille n’est souvent plus valable le lendemain – il faut rebattre. (…) C’est beaucoup de travail, beaucoup de mouvement, beaucoup d’humilité. Et aussi beaucoup d’ambition: on sert une cause qui nous dépasse et on peut changer les choses.

Avez-vous trouvé le livre injuste avec le ministre des Affaires étrangères que vous avez été?

Je n’ai pas lu la bande dessinée dans cet esprit-là, je l’ai prise dans son mouvement, sa gobalité. Ce qui m’a frappé, c’est sa capacité à mettre en dessin la vitesse, qui pour moi est la marque de fabrique de la diplomatie, alors que souvent on a le sentiment complètement inverse et qu’elle incarne l’immobilisme. (…)

Vous êtes un homme politique, romancier et poète. En l’occurence, ces « métiers » se confondaient-ils dans votre action au Quai d’Orsay?

J’ai travaillé avec beaucoup d’hommes publics et chacun a son mode de fonctionnement particulier. Chez Jacques Chirac, le temps de la préparation et de la relecture du discours est un temps, et il n’y a pas d’interférence dans ce temps-là. Moi, il m’arrivait d’appeler du bout du monde pour dire « j’ai entendu ça, je viens de lire ça et il y a une idée »… Je me vois plutôt dans la position du premier de cordée: voir le relief, donner des indications sur une topographie que je suis en position de mieux voir qu’eux, tout en comptant sur leur travail, leur sérénité et leur capacité à s’inscrire dans un temps long. Car c’est selon moi une caractéristique de la diplomatie: la nécessité de s’ancrer dans l’histoire tout en recevant des impulsions qui viennent de partout à tout moment – le mouvement perpétuel en même temps qu’une vraie réflexion qui demande du silence et de la sérénité. A la vérité, beaucoup d’hommes publics travaillent seuls et beaucoup d’autres se mettent dans la main de leur cabinet, c’est-à-dire qu’ils se font écrire des discours qu’ils découvrent quelques minutes avant le prononcé. Moi, j’ai besoin d’être associé, d’avoir les mains dans la pâte, mais j’ai aussi l’angoisse que ce ne soit pas comme cela doit être. Je suis vraiment un artisan travaillant avec ses apprentis sur une oeuvre unique: j’ai besoin qu’ils partagent la même inquiétude que moi.

Source: Casemate – Numéro 26 – Propos recueillis par Bertrand Dicale

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