« Villepin-Sarkozy: qui tuera l’autre? »: la suite de l’analyse de Christophe Barbier dans le dernier numéro de L’Express…
La droite cannibale a perdu toute générosité
Face aux défis du moment, puisque le sort de la France dépend, hélas, de leur querelle, l’opposition semble totale. Nicolas Sarkozy lutte contre la crise de taille et d’estoc, et même de bric et de broc, étatiste de la main gauche et libéral de la droite, prêt à titulariser comme fonctionnaires 800 000 contractuels, mais inflexible sur l’impôt. Dominique de Villepin tance une politique qui ne donne pas de résultats et en appelle à des changements dont la radicalité est pour l’heure la seule finalité. Aux yeux des Français, Sarkozy incarne une droite d’improvisation et d’agitation, Villepin, une droite d’imprécation et d’incantation.
Deux droites, à nouveau? Non, c’est la même: aucune d’entre elles ne peut d’ailleurs lancer à l’autre qu’elle n’a « pas le monopole du coeur », puisque ni l’une ni l’autre n’en a un. Et c’est là le trait commun qui estompe toutes les différences: en sa violence sanguinaire, la droite cannibale a perdu toute générosité.
Certes, la fracture sociale de Jacques Chirac comme le gaullisme de gauche de jadis furent des illusions de campagne plus que des programmes effectifs, mais jamais il n’y eut autant de sécheresse qu’aujourd’hui dans le discours de la droite, où démocrates-chrétiens, libéraux-sociaux, radicaux humanistes et centristes divers, sans oublier les transfuges de la gauche, sont relégués sur des strapontins. L’empathie affichée par le président face aux Français touchés par la crise, le 25 janvier, sur TF 1, est-elle le début d’un temps social ou une diversion supplémentaire?
Danton et Robespierre
Pour l’heure, la vie de la droite est tout entière dans le duel à mort de ses deux enfants, qui ne semble pouvoir s’achever que par la défaite totale, la mort politique, de l’un à cause de l’autre, de l’autre par la faute de l’un. Pour Nicolas Sarkozy, ce serait une défaite à la présidentielle, parce que Villepin aurait capté sur son nom, au premier tour, quelques pourcentages qui ne le rejoindront pas au second tour. Pour Villepin, ce serait l’impossibilité de participer à cette échéance de 2012, parce que la machine UMP l’aurait privé des 500 signatures d’élus nécessaires.
Signe d’une violence incandescente et inédite, c’est la première fois qu’une querelle de rivaux politiques se porte ainsi devant les tribunaux: Giscard-Chirac, Chirac-Chaban, Fabius-Jospin, Mitterrand-Rocard, Jaurès-Guesde… En remontant le temps, on ne trouve que des règlements de comptes politiques, tranchés dans l’arène des partis ou le champ clos des élections. C’est à l’affrontement entre Danton et Robespierre qu’il faut remonter pour trouver un tel duo d’adversaires, opposés, eux aussi, par le physique, par le caractère et par la manière de mener la France, mais enfants, déjà, d’une même tempête.
Sarkozy et Villepin sont, comme Danton et Robespierre, si différents et si irréconciliables que leur haine crée entre eux une fraternité où chacun devient à l’autre aussi nécessaire que détestable. Villepin a besoin de l’ »acharnement » de Sarkozy pour nourrir sa détermination, Sarkozy a besoin du péril Villepin pour assurer l’union autour de lui. Ils sont chacun l’ennemi précieux de l’autre: il me faut détruire celui sans lequel je ne suis plus. La mythologie, toutes les mythologies ont en leur coeur un tel duo fraternel et mortel. Sarkozy et Villepin, c’est Seth et Osiris, Romulus et Rémus, Etéocle et Polynice, Abel et Caïn. Mais l’histoire ne dure que tant qu’elle rejoue sans fin le meurtre, et la mort de l’un n’est que le prélude de la fin de l’autre.
La droite en est là: unique, donc fracturée, comme ces étoiles trop grosses qui explosent quand leur premier noyau finit par dévorer la matière du second. Sarkozy-Villepin: qui tuera l’autre? Celui qui mourra au même moment. Et tous deux seront enfin unis, dans la défaite de leur camp.
Source: Christophe Barbier (L’Express)