Le journaliste Erich Inciyan nous autorise à reproduire ici son article publié mercredi dans Mediapart. En voici le texte.
Proclamée en janvier par le président de la République, la mise à mort du juge d’instruction a été entérinée par un comité de réflexion qui a remis mercredi son rapport à Nicolas Sarkozy. Les pouvoirs d’un magistrat indépendant du pouvoir exécutif passeraient ainsi aux mains d’un ministère public qui dépend, lui, du gouvernement. Une réforme, Sire ? Non, c’est une révolution judiciaire qui est annoncée !
Sans surprise, le rapport remis à Nicolas Sarkozy a repris les grandes lignes de réforme avancées par Sarkozy Nicolas en début d’année. La boucle est bouclée… On se souvient que deux membres de ce comité chargé de réfléchir à la réforme de la procédure pénale (le journaliste Matthieu Aron et la juge d’instruction Corinne Goetzmann) avaient été les seuls à démissionner, peu après l’énoncé de la « commande présidentielle ». La magistrate s’en était expliquée de manière limpide : « C’est parce que l’indépendance de la commission me semble durablement compromise, que la suspicion pèsera sur son objectivité et qu’elle a été dépouillée de sa légitimité, que je vous fait part (…) avec regrets de ma décision de ne plus participer à ses débats. »
Le grand chamboulement judiciaire piloté par le chef de l’Etat prévoit, en résumé, de transférer les pouvoirs du juge d’instruction – indépendant du pouvoir exécutif – à des magistrats qui sont nommés en conseil des ministres et placés hiérarchiquement sous l’autorité directe du ministre de la justice. Et l’actuelle garde des Sceaux peut bien déplorer, lundi 31 août, que « l’on se focalise sur le juge d’instruction qui ne représente que 4% des affaires ». Comme tout un chacun, Michèle Alliot-Marie sait qu’il s’agit des dossiers les plus sensibles, des enquêtes sur la corruption politique (les frégates de Taiwan) et la délinquance financière (Elf), le terrorisme (l’attentat du DC-10 d’UTA) ou la santé publique (le sang contaminé)…
Du caractère hors norme de telles enquêtes, le procureur de la République de Paris s’est fait l’éloquent témoin en intervenant récemment dans le cours des affaires Clearstream et Julien Dray. Partisan de la réforme pénale voulue par le chef de l’Etat, Jean- Claude Marin s’en est déjà précisément expliqué dans Mediapart. A la tête des deux principaux syndicats de magistrats, Emmanuelle Perreux et Christophe Régnard avaient longuement réagi en dénonçant une atteinte à l’indépendance de la justice (toujours sur Mediapart). Depuis, on peut soutenir que les initiatives du procureur n’ont pas tout à fait réussi à dissiper le climat de suspicion qui pèse, en France, sur les interventions du ministère public.
Affaires Dray et Clearstream, en avant-goût de la réforme voulue par Nicolas Sarkozy
Sans attendre le procès Clearstream qui doit s’ouvrir le 21 septembre, le procureur de la République a en effet publiquement exprimé sa « conviction », le 28 août sur Europe1. Jean-Claude Marin a indiqué ce qu’il pense du rôle joué par Dominique de Villepin : l’ancien premier ministre aurait été « l’un des bénéficiaires collatéraux, mais parfaitement conscient » de la divulgation du célèbre faux listing bancaire mettant en cause diverses personnalités, dont Nicolas Sarkozy. Le procureur a été jusqu’à évoquer « un effet d’aubaine dans un combat politique que l’on connaît ». Cette sortie radiophonique sans précédent dans un dossier particulièrement signalé a d’autant plus étonné que M. Marin doit soutenir en personne l’accusation lors du procès attendu au palais de justice de Paris.
Proche de Dominique de Villepin, le député (UMP) Jean-Pierre Grand a réagi vivement. « Si M. Marin agit de son propre chef, cela mérite qu’on se pose la question de savoir s’il doit rester comme le représentant de l’Etat de droit dans un procès », a considéré le député de l’Hérault, en évoquant l’hypothèse d’une « démission » du procureur de Paris. « Ou bien il agit sur ordre et cela veut dire que l’on prépare l’opinion publique à ce procès politique et naturellement à la condamnation de Dominique de Villepin. Une méthode qui a fait ses preuves dans les régimes éloignés de la démocratie. On n’a jamais vu, depuis la Libération, une telle atteinte au fonctionnement de la justice en France », a encore commenté l’homme politique.
Restée elle au stade de l’enquête préliminaire – donc sous la coupe du parquet de Paris, sans désignation d’un juge d’instruction -, l’affaire Dray a été traitée comme une expérience en laboratoire de la réforme voulue par Nicolas Sarkozy. Or la direction des investigations par le ministère public – sans accès des avocats au dossier – n’a pas empêché des « fuites » accablantes pour le député de l’Essonne. Puis M. Marin a proposé aux défenseurs du député socialiste une procédure « cousue main » quoique non prévue par la procédure pénale : le procureur leur a ouvert la communication du rapport d’enquête préliminaire sur les comptes de M. Dray, afin que ce dernier puisse livrer ses observations. L’initiative a suscité des interrogations, notamment chez les avocats de tant d’autres justiciables visés par des enquêtes préliminaires.
Ainsi balisée, la réforme pénale annoncée par Nicolas Sarkozy continue cependant de poser le problème de l’indépendance du parquet. Car, à ce jour, la Cour européenne des droits de l’Homme dénie au ministère public (français) le statut d’autorité judiciaire indépendante, le jugeant excessivement soumis au pouvoir exécutif. Face à ces remontrances, Nicolas Sarkozy lâchera-t-il du lest? Début juillet, pour la première fois, le président et ancien avocat s’est dit « prêt à discuter de l’indépendance du parquet » qui devra « être totalement libre ».
Egalement de formation juridique, sa ministre de la justice a semblé plus réservée, quelques jours après, rappelant que les magistrats du parquet ont déjà un « statut spécifique » qui « tend à garantir leur indépendance ». Il reviendra à Michèle Alliot-Marie de porter ce projet de loi qui a peu de chances d’être examiné par le Parlement avant l’été 2010.
Source: Erich Inciyan (Mediapart)
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