Cet été, chaque samedi, retrouvez sur ce blog un extrait de La cité des hommes. Aujourd’hui: Le citoyen-monde
Au-delà des économies, les cultures du monde se sont mises en mouvement. Une conscience mondiale est en train d’émerger. Aucune autre période de l’histoire n’a offert aux individus un accès, physique ou intellectuel, aussi facile à l’ensemble des autres cultures. (…)
Du côté occidental, il est nécessaire de se départir d’une certaine supériorité universaliste qui prétend s’ériger en juge et seul maître d’oeuvre de la synthèse. En face, de nombreuses cultures ont connu la tentation du repli sur la tradition et la mythification du passé par peur de devoir se soumettre à la modernité conquérante de l’Occident. Cette logique a favorisé, par exemple, après un siècle de malentendus et de graves maladresses, le développement de l’islamisme dans le monde arabe. Ce repli est d’autant plus menaçant qu’il intègre la part technologique de la modernité pour la retourner contre ses ennemis.
Le détournement de la culture comme élément de résistance identitaire mène toujours aux affrontements physiques et aux engrenages de la haine. Surtout il appauvrit et fragilise les véritables cultures qui conduisent au partage et supposent l’ouverture d’esprit. A l’évidence, les peuples des pays musulmans sont les premières victimes de l’islamisme. Les modérés, ceux qui veulent associer droits de la personne, démocratie et islam, ont été discrédités et, dans certains cas, persécutés. L’enseignement s’est rigidifié, rendant plus difficile l’assimilation de connaissances venues d’ailleurs. Les traductions se sont taries, étiolant un peu plus une tradition littéraire et poétique foisonnante, à présent tenue sous le boisseau. Il n’y a donc pas de diplomatie plus urgente que l’universalisation de la culture. Il faut soutenir partout les forums de dialogue et les aides qui permettent à la création locale de rester vivante.
Accompagner la rencontre des civilisations, c’est aussi éviter leur écrasement dans un moule unique au nom d’une culture commune. L’unité n’est pas l’uniformité. L’humanité est riche de toute la diversité de ses pensées et de ses ressentis Elle est la somme de ses langues et de ses images. (…)
Est-ce pour autant le triomphe du relativisme? Toutes les vérités se valent-elles puisqu’il faut encourager la diversité? Au contraire. Le dialogue dans la diversité n’est pas un slogan mais une opportunité historique de faire naître un universalisme partagé, fondé sur un apport égal de l’ensemble des cultures. (…)
L’universalisme ne peut plus prétendre s’imposer à l’humanité à partir d’une seule de ses composantes. L’Occident s’est imaginé porteur de valeurs indiscutables. Sa sincérité fut sa bonne conscience, dégénérant en arrogance. Hier comme aujourd’hui, des missionnaires jésuites en Nouvel-Espagne aux valeurs civilisatrices de la colonisation, du flambeau des Lumières transmis par la Révolution française à une Europe parfois récalcitrante aux prédicateurs de la révolution mondiale, les mêmes erreurs se sont constamment reproduites.
L’Occident doit accepter enfin la réalité et promouvoir le partage. Il ne lui sera pas possible de bricoler son système de valeurs pour le rendre enfin réellement planétaire. Il lui faut reconnaître la polyphonie du monde, contribuer à la nourrir sans prétendre y dominer, prendre au sérieux les cultures et les mémoires, lire et écouter les nouveaux savoirs qui se constituent en dehors de lui. L’Inde abonde aujourd’hui en penseurs novateurs qui tentent de déplacer les frontières des concepts économiques, sociologiques ou politiques que l’Occident s’est donnés par les hasards de l’histoire et a imposés à d’autres sociétés. Dans toutes les disciplines se développent les mêmes efforts de synthèse philosophique et religieuse. Nous sommes face à une période d’éclosion. Devant nous se profile une Renaissance mondiale, une nouvelle époque des Lumières appelée à bouleverser nos façons de penser. Il faut choisir Erasme, Thomas More et Montaigne, et éviter les tentations du sac de Rome, de la Saint-Barthélémy ou de la condamnation de Galilée.
Le défi de la multipolarité et de la mondialisation est au coeur de la redéfinition du devoir de citoyen. (…) En parallèle, émerge aujourd’hui une opinion publique mondiale. Le phénomène est irréversible. Les médias audiovisuels et Internet en sont évidemment les vecteurs privilégiés. Ils nous font entrer dans la société mondiale de l’information de masse. Les enjeux pour les libertés publiques et la diversité culturelle mondiale sont immenses dans les contenus et les moteurs de recherche sur Internet par exemple.
La fausse immédiateté médiatique nous met sous la pression constante de l’image. Elle place l’action sous l’emprise de la représentation, propice à toutes les dérives et détournements. Face aux risques de l’uniformisation, il est indispensable de protéger la diversité et de réfléchir au statut de la création dans nos sociétés, y compris à travers des financements innovants pour compenser les imperfections évidentes du marché dans ce domaine.
La cité des hommes – Dominique de Villepin – Plon – En vente dans toutes les librairies