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De retour à l'Assemblée, le texte sur le travail le dimanche continue de susciter le scepticisme

Bataille du dimanche, acte II. Les députés examinent à partir de mardi la nouvelle proposition de loi UMP sur l’extension des autorisations d’ouverture de magasins le dimanche. Il faut dire qu’en décembre dernier, une cinquantaine de parlementaires avaient orchestré une véritable fronde contre le projet, au sein même de la majorité, provoquant le report sine die du texte.

La proposition de loi Mallié sur l’ouverture dominicale, malgré une quatrième mouture, reste pourtant vivement contestée par les syndicats qui y voient une atteinte aux droits des salariés, et suscite de nombreuses réserves jusque dans les rangs d’une partie du patronat. En cause : le manque de clarté du texte sur l’étendue réelle des dérogations accordées aux zones touristiques dans lesquelles l’ouverture le dimanche serait autorisée.

« Deux thèses s’affrontent. Quelqu’un ne dit pas la vérité, mais on ne sait pas qui », souligne le député villepiniste Jean-Pierre Grand. De son côté, Jacques Le Guen annonce qu’il va s’abstenir, parce qu’il « ne voudrait pas que ce soit le premier coup de ciseaux dans le pacte social ».

Le gouvernement va devoir livrer une difficile bataille à l’Assemblée nationale pour convaincre que la quatrième version du texte sur le repos dominical examinée à partir de mardi n’a pas pour objectif de généraliser le travail du dimanche, comme l’en accuse l’opposition.

Pas moins de cinq jours ont été prévus pour ce débat, qui doit s’achever en principe samedi soir. Pour la première application de la nouvelle procédure du temps programmé, la conférence des présidents a prévu 50 heures de débat, à la demande du PS.

Le texte a été annoncé par l’ancien ministre du Travail Brice Hortefeux après le fiasco du 17 décembre dernier, quand l’insuffisante mobilisation de la majorité avait conduit au report de la première proposition déposée par Richard Mallié. Cette fois, les responsables de la majorité se sont efforcés de déminer le terrain. La nouvelle proposition de loi est co-signée par les chefs de file de la fronde de décembre dernier.

Après l’échec des trois premières tentatives, cette nouvelle mouture est présentée comme plus restrictive. Pour ne pas rouvrir la polémique au sein de sa majorité, l’exécutif a renoncé à faire passer de cinq à huit le nombre de dérogations que peut demander un maire.

Le texte légalise la situation de quelques grandes zones commerciales. Seules sont concernées les zones frontalières (Lille) et les agglomérations de plus d’un million d’habitants ayant des « habitudes de consommation » le dimanche : Paris et Marseille mais plus Lyon où de nombreux élus y sont hostiles.

Que dit le texte?

Parmi les principaux arguments avancés en faveur du travail dominical, la conjoncture actuelle (« Il y a urgence car personne ne souhaite un été ponctué de fermetures de commerces et de licenciements portant sur plusieurs milliers d’emplois. Tout doit être fait en cette période de crise pour sauvegarder l’emploi »). Soit. Mais il n’empêche que l’impact économique de la future loi est encore incertain car difficilement quantifiable.

Le rapporteur invoque ensuite le fait que personne ne s’y retrouve entre incohérences flagrantes et multiples dérogations. Sur ce point, le raisonnement est imparable. Impossible, en effet, de nier que certaines enseignes ont pris le parti de mettre consommateurs et législateur devant le fait accompli, en ouvrant le dimanche même si elles n’y sont pas autorisées.

Maintenant, qu’est-ce qui va changer? L’ouverture dominicale concernera d’abord les zones touristiques et thermales. « Un magasin qui vend des lunettes de soleil peut ouvrir le dimanche car son activité est considérée comme ‘de loisir’ et si ce magasin vend des lunettes de vue, il ne peut pas, en droit, faire travailler des salariés le dimanche. » Désormais, le second magasin pourra ouvrir au même titre que le premier.

Sont également visés les périmètres d’usage de consommation exceptionnel ou PUCE dans les agglomérations de plus de 1 million d’habitants, à savoir Paris (Champs-Elysées, Grands Boulevards…), Aix-Marseille (Plan de campagne…) et Lille (en tant que zone frontalière)… mais pas Lyon. « En effet, il n’existe pas d’usage de consommation le samedi et le dimanche dans l’agglomération lyonnaise. » Les Lyonnais seront contents de l’apprendre!

La future législation ne sera pas non plus applicable à l’Alsace-Moselle, au statut si particulier. Ni aux grandes surfaces alimentaires: il s’agit ici de protéger le petit commerce, puisqu’un emploi créé dans la grande distribution, c’est trois de détruits pour celui-ci.

A noter que, dans le cas des PUCE, le salarié ne travaillera le dimanche que s’il est volontaire et percevra en contrepartie une rémunération équivalente au double de celle perçue en temps normal. Inutile de préciser que l’employé pourrait, malgré tout, être fortement incité à obtempérer. En revanche, ces dispositions ne s’appliquent pas dans les zones touristiques.

Rien n’est non plus prévu pour ceux dont le travail le dimanche -déjà acté- découle de « facteurs structurels », à savoir dans les restaurants, hôpitaux, pompes à essence ou au cinéma… Ce qui risque de pérenniser un système à deux vitesses.

Un texte qui divise encore l’UMP

Selon le gouvernement, le texte se contente de légaliser les dérogations existantes, étendues à quelque 500 communes touristiques, mais n’ouvre pas la porte à une généralisation du travail dominical. Le texte du projet de loi parle de « zones touristiques d’affluence exceptionnelle ou d’animation culturelle permanente », mais sans définir précisément à quel code il se réfère. La bataille d’amendements s’annonce donc rude sur ce point.

« Les zones touristiques seront bien identifiées, le volontariat des salariés sera respecté et les salaires seront conformes aux engagements qui ont été pris, c’est-à-dire qu’ils seront doublés », a assuré Jean-François Copé. Mais en réalité, seuls les nouveaux salariés travaillant le dimanche – et non pas ceux déjà concernés – bénéficieront du doublement de salaire, créant un autre point de friction. « On ne peut pas étendre ce doublement de salaire à l’ensemble de la France, sinon on va mettre les entreprises en danger », a admis le vice-président du groupe UMP, Jean Leonetti.

Parmi la soixantaine de députés qui étaient ouvertement montés au créneau contre le travail le dimanche, beaucoup restent sceptiques. Comme s’ils n’avaient pas, sur ce texte, grande confiance dans le gouvernement.

« Veut-on régulariser les situations existantes ou est-on parti sur un dispositif qui va faire tache d’huile ? Ce n’est pas clair », avoue le centriste Jean Dionis du Séjour.

Bien que le texte ait été « vidé » de sa substance, Jacques Le Guen va s’abstenir, parce qu’il « ne voudrait pas que ce soit le premier coup de ciseaux dans le pacte social ».

Le gouvernement et le Parti socialiste s’accusent mutuellement de « mensonges » sur le nombre de « communes et zones touristiques » qui pourront prétendre aux dérogations, donnant à cette définition des interprétations contradictoires.

« Deux thèses s’affrontent. Quelqu’un ne dit pas la vérité, mais on ne sait pas qui », explique Jean-Pierre Grand.

Si « le flou s’est instillé », c’est qu’il y a, pour ces parlementaires, trop de « zones d’ombre ». Notamment la définition des zones touristiques, sur laquelle Jean-Marc Ayrault, le président du groupe PS à l’Assemblée, a un peu plus semé le trouble.

« Sur les 160 communes de ma circonscription, je suis persuadé que 120 pourraient être classées zone touristique », s’inquiète Marie-Christine Dalloz, députée UMP du Jura, qui souhaite que le dispositif soit évalué dans un an.

Un projet également contesté par les partenaires sociaux

La proposition de loi Mallié sur l’ouverture dominicale, malgré une quatrième mouture, reste vivement contestée par les syndicats qui y voient une atteinte aux droits des salariés, et suscite de nombreuses réserves jusque dans les rangs d’une partie du patronat.

Les syndicats contestent la notion de « volontariat » des salariés en matière de travail le dimanche et dénoncent un risque de remise en cause générale du droit au repos dominical. Et les critiques sont d’autant plus vives que les dispositions créant des « périmètres d’usage de consommation exceptionnel », (PUCE), caractérisés par « des habitudes de consommation de fin de semaine », et l’extension d’ouverture dominicale aux « communes touristiques » ou « d’animation culturelle permanente », font craindre aux détracteurs du projet une généralisation de la mesure.

La CFTC dit notamment craindre un effet « tache d’huile ». « Pourquoi refuser aux agglomérations de 900.000 habitants ce que l’on accorde à celles d’un million? », se demande le syndicat. « Les artisans et commerçants peuvent déjà ouvrir le dimanche: de droit, parce qu’ils n’emploient pas de salariés, ou par le jeu des dérogations existantes. S’ils
ne le font pas, c’est parce qu’ils estiment que le travail sept jours sur sept est déstructurant socialement, mortifère humainement et, tout simplement, non rentable économiquement », ajoute le syndicat.

De son côté, FO dénonce sur son site internet la « démarche idéologique de cette énième proposition de loi », qui selon elle « ne relève pas d’une nécessité » mais « d’un choix lourd de conséquences pour les salariés ».

La Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME) déplore de son côté dans un communiqué que ce sujet « d’importance » qui « mérite un vrai débat » soit discuté en plein mois de juillet, et demande le report de l’examen au mois de septembre.

Emettant de nombreuses réserves sur plusieurs points du texte, l’organisation patronale estime notamment que « le dimanche est depuis longtemps un jour permettant de consolider la cellule familiale et de privilégier les activités culturelles et sportives. Banaliser l’ouverture dominicale reviendrait à modifier considérablement la structure de notre société », ajoute-t-elle.

Sur le plan économique, pour cette confédération patronale, « le pouvoir d’achat des consommateurs n’étant pas extensible, les achats dominicaux se substitueront aux achats en semaine et le commerce de proximité, le principal perdant de cette libéralisation, sera contraint de licencier ».

Invité dimanche du « Grand Jury » RTL-LCI-Le Figaro, François Chérèque (CFDT) a estimé que la proposition de loi « a tellement de zones d’ombre, tellement de zones d’ombre, que selon l’interprétation de cette nouvelle version, on aura petit à petit une généralisation du travail le dimanche dans notre pays ».

« Le gouvernement ne veut pas préciser ce qui est zone touristique », a-t-il déploré. « Quand vous aurez ça en région parisienne, en région marseillaise-aixoise, dans la région nordique et dans 500 villes -ou plus- touristiques, on aura une forme de généralisation du travail du dimanche sans s’en rendre compte ».

Pour François Chérèque, cette évolution « changera la vie de beaucoup de personnes » et « sera totalement inégalitaire » car certains employés seront payés double leur week-end alors que d’autres toucheront un salaire inchangé. Cela va « créer un changement de société et des injustices sociales supplémentaires », a averti le secrétaire général de la CFDT. « On a ça en germe ».

Mais il a paru résigné quant à l’adoption de ce texte. « Ce ne sera pas la première loi qui sera votée avec un désaccord des organisations syndicales ».

Sources: Les Echos (Pierre-Alain Furbury), Challenges (Flore de Bodman), Le Monde (Jean-Baptiste Chastand), Associated Press et Le Point

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