Que faire, face à l’augmentation inéluctable du chômage et à la désespérance qu’elle porte en germe ? Comment éviter que la détérioration du climat social ne se transforme, à l’occasion d’un dérapage ou d’un conflit local dur, en une de ces explosions dont la France a le secret ?
Dans un pays qui s’enfonce dans la récession, ces questions taraudent les responsables politiques au plus haut niveau de l’Etat, dans la majorité comme dans l’opposition.
La journée unitaire d’action du jeudi 29 janvier, qui s’annonce très suivie, bénéficie selon deux sondages publiés dimanche 25 (CSA/Le Parisien/Aujourd’hui en France et IFOP/Sud-Ouest) du soutien de près des trois quarts des Français.
A quelques jours de son organisation, les débrayages à l’usine Renault de Sandouville à l’annonce de la prolongation du chômage partiel, les mots d’ordre de grève dans les universités, les tensions qui subsistent dans certains lycées, dans l’administration et dans le monde hospitalier ont relancé les craintes d’une possible conjonction des mécontentements. « Je sens une violence en train de naître. Dans les écoles, par exemple, la mobilisation est très forte », relève Philippe Cochet, député UMP du Rhône.
Début janvier, des élus de la majorité avaient alerté Nicolas Sarkozy sur les risques d’ »un grand mouvement social » et du décalage avec l’opinion publique sur le plan de relance. « Les gens ont l’impression que l’argent public est distribué aux banquiers et que rien n’est fait pour eux. Ils approuvent ceux qui descendent dans la rue », avaient-ils indiqué.
La récession a beau frapper inégalement territoires et entreprises, les remontées du terrain ne sont guère rassurantes.
La baisse de l’intérim, la hausse du chômage partiel, la multiplication des plans de départ volontaire ont certes permis, jusqu’à maintenant, d’ »étaler les effets dévastateurs de la crise », analyse Martin Richer, directeur général de la société Secafi (Groupe Alpha), spécialisée dans le conseil auprès des comités d’entreprise. « Mais si la situation dans l’automobile devait préfigurer ce qui se passera dans cinq ou six autres secteurs, la crise prendrait une autre dimension », dit-il.
Dans les régions industrielles, les syndicalistes décrivent l’anxiété de salariés « K.-O. debout ». « Fin 2008, 134 entreprises avaient fait une demande de chômage partiel et 15 000 salariés ont dû s’arrêter trois semaines pendant les fêtes. On n’avait jamais vu cela », dit Alain Gatti de l’Union régionale interprofessionnelle CFDT de Lorraine.
Son homologue des Pays de la Loire, Laurent Berger, constate la multiplication des plans sociaux : « En novembre et décembre, les entreprises de la région ont remercié 8 000 intérimaires, mis fin aux contrats à durée déterminée, demandé à leurs salariés de prendre des jours de réduction du temps de travail ou de chômage partiel. Mais, depuis janvier, on tape dans le dur. » Et d’égrener la liste des emplois supprimés en une semaine : 120 dans deux entreprises d’ameublement employant au total 300 personnes, 200 emplois sur 1 200 dans un groupe suédois, et plusieurs dizaines de milliers de salariés désoeuvrés pour cause de chômage technique.
La crise se généralise : automobile, transports, navigation de plaisance, chantiers navals, services informatiques, secteur du nettoyage. « La situation, anxiogène, crée du fatalisme et de la colère chez des salariés qui ont le sentiment de payer les erreurs du capitalisme financier », note le syndicaliste.
Dans les entreprises en difficulté, la crainte du chômage tétanise. Dans celles qui se portent mieux, les négociations salariales s’annoncent tendues. « Le mécontentement est plus fort dans les groupes qui ne vont pas trop mal, là où les politiques salariales sont jugées insuffisantes », assure le secrétaire général de la métallurgie CFDT, Dominique Gilliez.
A situation sociale complexe, pronostics nuancés. « Il y a beaucoup de colère rentrée, mais cela ne se traduit pas toujours par de la lutte », relève Nadine Prigent, secrétaire générale de la CGT santé. « La crise amplifie l’incertitude, exacerbe le ras-le-bol », ajoute Marcel Grignard, secrétaire national de la CFDT, qui perçoit chez certains l’envie d’en découdre.
Directeur d’études d’Entreprise et personnel, une association de DRH, Jean-Pierre Basilien croit plus à la possibilité de conflits locaux durs, là où l’emploi est détruit, qu’à celle d’un mouvement plus général. « Le gouvernement semble très attentif à désamorcer tous les sujets possibles de tensions avec la jeunesse, qui pourraient conduire à des mobilisations plus larges », analyse-t-il.
La durée et l’ampleur de la récession constituent des inconnues qui vont peser sur le climat social. Raymond Soubie, conseiller de Nicolas Sarkozy pour les questions sociales, ne constate pas, pour l’heure, « de montée de fièvre forte ». Mais, ajoute-t-il prudent, la météo sociale est une science inexacte ».
Sources: Rémi Barroux, Claire Guélaud et Sophie Landrin (Le Monde)