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Dominique de Villepin dans France Soir: "Rassembler les contraires et trouver des compromis"

Il aurait pu appeler son livre Notre cher et vieux pays, comme aimait à dire le général de Gaulle. Il a préféré le titre Notre vieux pays (Plon) : « Cher, cela va de soi », sourit-il.

Sur plus de deux cents pages, Dominique de Villepin livre, en « amoureux de la France », sa vision du pays à l’heure de la crise. Le ton est alarmiste, mais pas fataliste.

A moins de deux semaines du verdict du procès en appel de l’affaire Clearstream, l’ancien Premier ministre reçoit France-Soir dans son cabinet d’avocats parisien.

France-Soir: Dans votre livre, vous paraissez très pessimiste sur l’état de la France…

Dominique De Villepin: Je suis optimiste sur la capacité de la France à surmonter la crise. Mais les faits sont là : on a accumulé un certain nombre de retards au cours de ces dernières décennies. Ils nous placent aujourd’hui dans une situation d’extrême difficulté.

« Depuis des décennies », dites-vous…

Oui, c’est une tendance longue, avec quelques courts répits car, quand j’ai quitté Matignon en 2007, nous étions dans la même situation financière que l’Allemagne. Nous avions réduit de deux points le taux de chômage et nous avions baissé le poids de la dette de deux points et demi par rapport au PIB. La dette a explosé dès 2007 avec la loi Tepa (incluant le bouclier fiscal et la défiscalisation des heures supplémentaires, NDLR).

Le « coupable », ce serait la loi Tepa ?

C’est un enchaînement de dépenses. Si, aujourd’hui, je suis inquiet, c’est parce que nous serons bientôt le premier pays émetteur de dettes en euros du monde, et que nous avons décroché durablement par rapport à l’Allemagne en termes de compétitivité, de finances publiques. Dans ces conditions, ce n’est pas avec des plans de rigueur trop modestes que nous arriverons à surmonter une pareille crise.

Comme François Bayrou, vous dites qu’il faut décréter l’état d’urgence ?

Oui. C’est ce que nous avons fait entre 2005 et 2007, avec Thierry Breton et Jean-Louis Borloo, sur tous les fronts. En 2007, la majorité a fait une analyse à contretemps : celle de croire que l’essentiel était fait, et que la croissance allait revenir. Elle a cru aussi qu’on pouvait aligner le modèle français sur celui des Anglo-Saxons. Dans la crise, la rupture nous a placés en porte-à-faux.

A propos de la France, vous écrivez que « le pronostic vital est engagé ». N’est-ce pas un peu exagéré ?

Mais ce n’est pas la première fois dans notre histoire !… En 1914 comme en 1940 nous avons été confrontés à des épreuves majeures et nous les avons surmontées. Ce qui est aujourd’hui angoissant, c’est l’aveuglement et l’indifférence persistants. On fait comme si tout allait bien. A gauche, à droite, au centre, on se lance dans la présidentielle comme il y a trente ans. Les candidats vous expliquent tous qu’ils sont les meilleurs alors qu’une de mes convictions fortes – je le dis dans mon livre –, c’est qu’il n’y a plus d’hommes providentiels. Ce n’est plus, comme le chantait Dutronc, « Et moi, et moi, et moi ». Ce doit être : « Et nous, et nous, et nous. »

Vous fustigez aussi les élites…

Les élites françaises mondialisées savent que nous courons vers le précipice. Mais, quelle que soit l’issue de l’histoire, elles savent aussi qu’elles, elles s’en sortiront très bien, mieux que les autres.

Vous présentez votre ouvrage comme un « testament politique ». Il y a un peu, là-dedans, d’idée de mort…

Un testament politique c’est au sens propre un témoignage. Le témoignage d’une expérience du pouvoir, et le témoignage d’une affection pour notre vieux pays. Mais c’est aussi un témoignage politique car ce livre est tourné vers l’avenir. J’aimerais que les citoyens français se comportent en adultes. Qu’ils ne se préoccupent pas uniquement de savoir ce qu’il en sera pour eux pris individuellement, mais qu’ils essaient de savoir comment faire pour que nous passions tous ce cap difficile.

Vous dénoncez la culture du « résultat » à tout prix, à n’importe quel prix…

La classe politique se place exclusivement dans une perspective de conquête de pouvoir, pas dans l’exercice du pouvoir. Et il y a une faible culture de la décision. Quand le chancelier allemand Gerard Schroeder a prévu son « agenda 2010 », il savait que cela allait lui coûter politiquement cher. Je regrette que Mme Merkel n’ait pas la même capacité à penser l’avenir de l’Allemagne et de l’Europe. L’Allemagne doit payer pour l’Europe, c’est son intérêt. Elle ne peut pas se permettre qu’une partie de l’Europe coule. Quand on ne crée pas une mutualisation des dettes, par le biais des euro-obligations, comment s’étonner que les marchés jouent contre l’Europe ? Le courage de nos dirigeants doit dépasser les calendriers électoraux.

Le « plan Sarkozy-Merkel » n’est donc pas satisfaisant…

C’était un point de départ nécessaire. Mais il ne suffit pas de dire qu’il faut une gouvernance européenne. Il faut des signaux concrets pour contrer la spéculation.

Si vous étiez député, voteriez-vous la règle d’or ?

Je suis favorable à toute règle incitative de vertu, quelles que puissent être les arrière-pensées. Il me paraît plus important de constater qu’il existe un début de consensus aujourd’hui, et que certains dirigeants socialistes appellent à l’application d’une bonne règle de gouvernance dès 2012. Mais il ne suffit pas d’une règle, il faut aussi s’y tenir. D’une façon générale, nous essayons de faire les choses trop vite. Résultat : nous n’arriverons pas à tenir nos objectifs. Et ce sera pris comme un échec par les marchés. Essayons de fixer un calendrier, et pourquoi ne pas lancer un grand emprunt national qui permettrait d’éponger une partie de la dette ?

Allez-vous vous présenter en 2012 ?

La véritable campagne ne commencera pas avant le mois de février 2012. En attendant, dans cette avant-élection, à quoi assistons-nous ? A une sorte de strip-tease ! Chacun dévoile ses atouts et ses atours. C’est presque indécent. On ferait mieux de tracer un chemin, de voir comment rassembler les forces politiques. Il faudra que quelqu’un fasse ce travail ingrat.

On dit que vous voyez régulièrement François Bayrou…

(Soupir) Nous nous croisons ici et là. Bayrou propose des recettes intéressantes, parfois très bonnes. Il parle à juste titre de l’éducation, de la productivité, de la dette. Trois maux français qui doivent être combattus. Mais il faut être plus ambitieux. Il faut s’attaquer au rôle et à la place de chacun, à la question de la dignité de chaque citoyen. Nous n’avons pas achevé la Révolution française.

Peut-on sortir de la crise sans imaginer la mise en place d’une grande coalition droite-gauche ?

Comme gaulliste, je le dis avec regret : le système majoritaire a atteint ses limites. Aujourd’hui, nous vivons dans une démocratie réduite aux acquets, qui ne concerne hélas ! que 20 % des Français. Les autres se sentent exclus. D’autant que ceux qui sont au pouvoir prétendent avoir toujours raison. Ils n’écoutent que le « noyau dur » de leur majorité. Une grande coalition ou même – qui sait ? – une nouvelle cohabitation permettrait de prendre en compte l’avis des autres. Ce n’est pas M. Sarkozy seul, Mme Aubry seule, M. Hollande seul, M. Bayrou seul ou moi-même seul qui avons raison. Il faut se forcer à rassembler les contraires et à trouver des compromis. Pour cela, faisons jouer à fond notre imagination !

*****

Libye : Le rôle secret 
de Villepin

France-Soir: Quel regard portez-vous sur le « printemps arabe » ? Savez-vous sur quoi il va déboucher ?

Dominique De Villepin: Le « printemps arabe », c’est un formidable espoir. Un espoir qui s’est levé en Tunisie, en Egypte, en Syrie… Il faut être soucieux de l’indépendance de ces Etats, respecter leurs choix, savoir les accompagner. L’enseignement essentiel : ce sont les peuples qui se sont dressés contre les pouvoirs corrompus et qui assument aujourd’hui pacifiquement leurs engagements.

Est-ce vrai aussi de la Libye ?

Le « cas » libyen est différent. C’est une combinaison de guerre civile et d’intervention militaire. Plus vite nous pourrons replier nos dispositifs, plus vite nous pourrons montrer notre plein respect de la souveraineté libyenne.

Quel était le but de votre mission de médiation dans ce conflit ? Elle est encore beaucoup commentée…

Depuis ce printemps, j’ai accepté de participer à des rencontres quatre fois dans la région, trois fois à Paris. Je n’avais qu’un but : faire avancer le dialogue, éviter davantage de morts. Gagner la paix, c’est plus difficile que gagner la guerre.

Qui vous a mandaté ?

J’ai agi en étroite coordination et en pleine transparence avec les autorités françaises

Source: France Soir (propos recueillis par Pascale Tournier et Dominique de Montvallon)

0 Commentaire

  1. charles

    Bravo, Mr De Villepin. Homme d’Etat. Gestionnaire de Mi-2005 à 2007. L’excellence : –> http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/0/03/Dette_publique_france_%25_du_PIB.png
    L’Excellence se voit. Elle se verra dans les urnes aussi si on dit le vrai !

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