Une quinzaine de marathons à son actif, un record personnel de moins de 3 heures et des envies de participation aux 100 km de Millau: Dominique de Villepin n’a jamais été un coureur du dimanche. Peut-on l’être quand on a rêvé de faire moins de 2h45 dans sa jeunesse?
Sous le soleil implacable de Djibouti ou la chaleur étouffante de la mousson à New Delhi, l’ancien Premier ministre n’a jamais dérogé à une séance de course tout au long de sa carrière. Pour le plaisir. Pour décompresser. Pour se ressourcer. Depuis son plus jeune âge, il a la course au coeur. Une passion familiale que lui a léguée son père, Xavier de Villepin, avant que lui-même ne la transmette à ses enfants, à ses petits-neveux et à sa femme, Marie-Laure. Nous l’avons rencontré au début de sa séance d’entraînement quotidienne, devant le Racing Club de France, dans le bois de Boulogne. Entouré de ses officiers de sécurité, sourire aux lèvres, la foulée longue, il est parti plus d’une heure: « Histoire d’user la carcasse ! » De retour dans son bureau avenue Foch, le condottiere de la vie politique française s’est épanché, en confiance et plus d’une heure durant, devant les reporters de Jogging International, sur sa passion d’une vie, la course à pied. A 57 ans, celui que le président Jacques Chirac décrivait comme « un poète et un bon capitaine d’escadron de commando » a été tel qu’en lui-même: enthousiaste, lyrique et séducteur.
Monsieur le Premier ministre, nous vous avons accompagné lors d’une de vos sorties dans le bois de Boulogne à Paris. Vous courez combien de fois par semaine?
J’essaie de courir tous les jours, même s’il y a des jours où c’est plus difficile que d’autres. En moyenne, je cours six fois par semaine et même, quand je peux, sept jours sur sept. Sachant que je m’octroie une sortie plus relâchée par semaine, histoire de ne pas trop user la carcasse ! Je cours une heure par jour en moyenne et j’aime bien, le samedi et le dimanche, faire un peu plus long, jusqu’à 1h30. En fonction de l’état de forme ou de méforme, des excès alimentaires et autres, j’ai une allure de 12 km/h. Sans faire systématiquement du fractionné, j’aime bien de temps en temps faire des accélérations en milieu de course, pour pouvoir terminer les vingt dernières minutes plus au calme.
Est-ce que vous pratiquez d’autres sports en complément?
J’ajoute de la natation uniquement pendant l’été. Je n’aime pas beaucoup nager en hiver. D’une manière générale, je ne suis pas un passionné de natation, mais il se trouve que c’est bon pour mon dos. Et puis, je fais systématiquement un peu de gymnastique et d’abdos.
Cent pompes par jour paraît-il. Vrai ou faux?
Pas toujours cent, mais disons que je fais entre cinquante et cent pompes tous les jours.
Quand avez-vous attrapé le virus de la course à pied?
J’ai eu la chance d’attraper ce virus très jeune. J’avais une dizaine d’années et j’ai tout de suite adoré ça, adoré les longues distances. Je suis à moitié responsable puisque mon père était un passionné de course à pied à une période où ce n’était pas du tout la mode. Tout petit, j’ai grandi au Maroc et en Amérique latine. Et mon père courait tous les matins. Il a d’ailleurs couru tous les matins jusqu’à plus de 60 ans. C’est une discipline à laquelle je le voyais s’astreindre tous les jours et qui m’a séduit. J’ai souvent couru avec lui pendant mon jeune âge, un peu moins après parce qu’il ne courait pas très rapidement.
J’habitais tout près d’un club de sport à Caracas, au Venezuela. Notre maison jouxtait le club de tennis Alta Mira. Ma découverte de la course a finalement deux origines: la première avec mon père et la deuxième grâce à un jeune sportif vénézuélien qui avait été qualifié pour les Jeux Olympiques de Mexico en 1968. Il s’entraînait dans les collines de Caracas. Je le voyais passer tous les jours devant chez moi. J’étais frappé par cette ténacité, cette volonté, cette énergie. Il n’avais aucune chance de faire un bon temps. Mais il avait cette espèce d’ascèse. Je le voyais s’entraîner sur les côtes, faire des accélérations. Tout ça m’avait beaucoup impressionné.
Là où beaucoup d’enfants s’entraînaient pour faire le 100 mètres, moi, j’aimais courir longtemps. Je le faisais à ma façon, avec un petit transistor. On captait les discours de Fidel Castro; c’était des discours qui duraient et duraient, qui n’en finissaient pas de durer. Aujourd’hui encore, j’ai dans l’oreille la voix de Fidel Castro hurlant ses discours aux « camarades cubains ».
A l’école, vous faisiez également de la course?
J’ai été remarqué par l’entraîneur de sport de mon école. Je jouais beaucoup au football. J’étais capitaine de mon équipe franco-vénézuélienne. Je jouais demi, quelquefois demi-centre. Gamin, j’ai été remarqué comme particulièrement résistant sur le terrain, l’entraîneur m’avait sélectionné pour faire du demi-fond. Il se trouve que j’ai remporté la course annuelle de mon école à l’âge de 12 ans, devant des élèves qui étaient beaucoup plus âgés que moi. On tournait dans la cour de l’école sur 3 000 mètres. C’est à ce moment que je suis rendu compte que j’aimais vraiment courir.
C’était déjà le plaisir de la victoire?
Non. J’ai beaucoup plus le plaisir de la course que le désir de la compétition. J’ai fait une quinzaine de marathons à une époque où il y avait du plaisir à courir ensemble. Je ne crois pas que cela a beaucoup changé, mais je me rappelle les marathons de l’Essonne ou de la vallée de Chevreuse, où l’on se retrouvait avec des gens de tous horizons avec qui je sympathisais. Le matin, je partais de chez moi, dans le 17ème arrondissement de Paris, et courais jusqu’au bois de Boulogne, où je retrouvais quasiment les mêmes gens. Il y avait un veilleur de nuit qui faisait tous les jours une trentaine de kilomètres. J’avais beau lui expliquer que ce n’était pas un moyen de faire un bon temps, il n’en démordait pas. Je me suis rendu compte que l’entraînement, c’était quelque chose de sérieux. On ne pouvait pas faire n’importe quoi.
Vous courez seul ou accompagné?
J’ai couru seul, mais je préfère de loin courir en groupe. Chaque fois que je peux, je cours avec des amis ou à plusieurs. J’ai fait des milliers et des milliers de kilomètres avec des amis qui me sont resté très proches. J’ai beaucoup couru avec Jean Pic, président de chambre à la Cour des comptes. En alternant mes courses le matin ou le soir, plus tardivement, vers 21 heures, j’avais d’autres partenaires, tout aussi fidèles dans leur rendez-vous. Il y avait un patron de bistrot à Saint-Denis, un commercial qui faisait 25 bornes tous les soirs dans Paris. C’étaient presque tout le temps les même gens. Ce sont des gars que j’ai retrouvés après, vingt ans plus tard. Toujours au bois de Boulogne. Ce qui m’a toujours fasciné dans ce milieu, c’est le brassage social. Aucune différence entre le PDG et le gars qui est magasinier, et ça, c’est formidable. Cela a beaucoup contribué à mon éducation sportive. Comme le fait de se caler au plaisir de la course. Courir pour échanger en somme…
J’ai toujours veillé à courir à des rythmes qui permettaient de parler. J’adore courir et parler. Je trouve qu’on est beaucoup plus intelligent quand on court. On a plein d’idées. Il y a une espèce de libération de l’intellect. On est alerte, on est créatif, on est imaginatif. Beaucoup de mes idées sont venues en courant, bonnes ou mauvaises d’ailleurs… Voyez, dans les mois qui ont précédé le procès Clearstream en janvier 2010, la course à pied m’a été indispensable. Sans la course, je n’aurais jamais pu traverser tout cela avec cette sérénité et cette décontraction.
Source: Jogging International (propos recueillis par Pascal Meynadier, avec Jean-Baptiste Tréboul et Philippe Maquat – photo: Vincent Lyky)