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Le nouveau Président (10/11): Un certain sourire…

Chaque dimanche, retrouvez en exclusivité sur ce blog le feuilleton de l’été: Le nouveau Président, écrit par Denis Bonzy du blog Exprimeo.

Dixième et avant-dernier épisode, ce dimanche 13 septembre: Un certain sourire…

En cette fin de matinée du mardi 14 février 2012, une petite ville de Haute Garonne semble en état de siège. Depuis la veille, les forces de l’ordre sont partout. Le motif est simple : le Président vient visiter une entreprise puis dans la soirée il pourrait céder la place au candidat qui ferait son premier discours de campagne.

Les temps sont difficiles pour tous les candidats. Les expressions directes de mécontentements débordent les structures classiques y compris syndicales. La campagne s’est radicalisée. Le Président de la République sortant peut-il échapper à cette conjoncture ou cette dernière l’impactera-t-elle de façon «privilégiée» ?

« Je vous demande de dire qui paye cette soirée ? »

L’après-midi a été « sportif ». La visite d’entreprise est intervenue au pas de charge tandis que des manifestants étaient tenus à l’écart. Plusieurs des opposants ont imposé une « guerre du mouvement ». Ils avaient accédé aux derniers étages d’immeubles et déployaient d’immenses banderoles avec des inscriptions tantôt humoristiques tantôt injurieuses. Tout édifice permettant de déployer une banderole avait été pris d’assaut y compris les ponts aux entrées de la Ville. Tout était bon pour déployer des banderoles.

Pour se rendre à l’espace où a été dressé le chapiteau bien à l’écart du centre-ville, il faut franchir trois cordons de sécurité, subir des fouilles minutieuses. La file d’attente insupporte plusieurs notables traités comme de vulgaires hooligans à l’entrée d’une enceinte sportive peu disciplinée.

Une fois ces étapes passées, il est alors possible d’entrer sous un chapiteau surchauffé. A la tribune, dès 20 heures 30, le Député de la circonscription prend la parole. Il commence à peine de parler « Mes amis, ce soir, nous sommes réunis pour accueillir celui qui a sauvé notre pays de la crise financière, celui qui a su remettre la France sur le chemin des réformes, celui qui a fait entrer la France dans l’ère de la modernité … ». A gauche, dans les premiers rangs, une personne fluette s’agite. Elle interpelle ses voisins et leur pose une question simple « qui paye ce soir ? Combien ça coûte ? ». Le Député fait mine de rien entendre. Puis, cette retraitée frêle quitte sa place et tente de s’approcher de la tribune avec un papier. A peine s’est-elle engagée dans la travée que des forces de sécurité musclées font obstacle. Elles la repoussent d’abord gentiment. Mais rien n’y fait. « La vieille dame » veut une réponse simple et précise à sa question simple et précise « qui paye la soirée ? ».

« Nous aussi, nous avons des droits et pas seulement celui d’applaudir ou de payer »

Le Député ne peut plus feindre de ne rien voir ni de ne rien entendre. Une grande partie de l’assistance ne regarde maintenant que cette scène d’une personne fragile aux mains de trois gaillards musclés. Au cinquième rang, un quinquagénaire solide quitte sa rangée et s’approche à son tour du service d’ordre et lui intime sur un ton péremptoire : « respectez là. Elle pourrait être votre mère et elle a le droit de s’exprimer ! ». Des sifflets commencent à fuser. L’un crie « c’est tellement plus facile de s’en prendre à une personne âgée que de s’occuper de la racaille ». Une femme s’énerve et crie à son tour « au micro. On est en démocratie ou pas ? ».

Le Député s’arrête de parler. Il sent que les premiers rangs de l’auditoire lui échappent. Il prend son souffle et tente de redémarrer : « c’est avec un certain sourire que je constate la volonté d’opposants de ne pas permettre au Chef de l’Etat de s’exprimer dans le calme qui lui est dû ». A peine vient-il de terminer sa phrase que la personne âgée tombe. A force d’être bousculée dans un sens puis dans l’autre, de se débattre pour ne pas être portée hors de la salle, une maladresse est intervenue et la chute est lourde.

En 30 secondes, l’agitation, initialement confinée aux premiers rangs de la salle, se répand progressivement de proche en proche, à chaque rang. Même les plus calmes notables paraissent pris de colère. Il faut dire que leurs nerfs avaient été mis à rude épreuve. Il avait fallu se garer dans un champ lointain plein d’une boue peu respectueuse du beau cuir de mocassins d’ordinaire si brillants. Ils avaient dû montrer « patte blanche » à chaque étape de sécurité, peu habitués à être traités ainsi. Dans l’après-midi, des voitures avaient été embarquées à la fourrière car localisées sur le parcours présidentiel. Bref, le temps de « la considération citoyenne » était loin.

Un robuste agriculteur s’époumone « c’est comme ça que tu défends tes administrés. Tu te marres quand on bouscule une grand-mère ? A mon tour, je te demande : qui paye la soirée ? Nous aussi, nous avons des droits et pas seulement celui d’applaudir ou de payer. Arrêtez de nous prendre pour des cons parce que vous pourriez bien avoir une surprise ».

Bien plus rapidement que prévu, le Député annonce « je n’étais que le hors d’œuvre. Voici celui que vous attendiez tous : il est le chef d’œuvre de notre pays qu’il construit avec une énergie de chaque instant : Nicolas Sarkozy ». La formule est si maladroite qu’elle provoque surtout des rires.

Le Président s’avance comme si de rien n’était et le désordre s’amplifie. A certains endroits, des personnes tournent le dos à la tribune par signe de protestation. A d’autres endroits, des personnes cherchent à savoir ce qui s’est exactement passé. Il est vrai, circonstance atténuante, que les rumeurs les plus folles circulent sur l’état de santé de la personne âgée maltraitée. Les uns partent en protestant parce qu’ils ont attendu deux heures à franchir les cordons de sécurité. D’autres expriment leur désaccord parce qu’ils ont été terriblement choqués par la force opposée à cette grand-mère qui voulait simplement « poser une question avec politesse ». Ces deux groupes composés de curieux non militants tranchent avec la fidélité à toute épreuve des rangées des militants UMP toujours très disciplinés. Mais surtout, avec les sms des téléphones portables, les personnes apprennent que le « vrai spectacle est en ville ». Le groupe «Devoir de Vérité » expose les grandes « heures présidentielles » sur les murs des immeubles de la Ville grâce à des rétroprojecteurs très puissants. Rien n’est épargné : salon de l’agriculture, commentaires de la presse étrangère, premières vacances d’été …

« Respectez leur autonomie »

Ce groupe « Devoir de Vérité » est né à l’automne 2011. Lors de sa création, il a clairement indiqué qu’il était libre de toute attache. Mais le clin d’œil à des initiales « DdV » a suscité beaucoup de commentaires. A tel point qu’une action contre ce nom de baptême avait été inscrite à l’ordre du jour d’une réunion de l’état major de campagne de Dominique de Villepin. Ce dernier avait écarté toute hypothèse de ce type avec beaucoup d’humour indiquant alors « mes initiales ont souvent été à l’origine de commentaires. Il y a peu de temps encore quand j’entendais les déclarations haineuses lors de certaines procédures, je me disais qu’ils allaient s’apercevoir que DdV pouvait signifier « droit de vivre »… Maintenant en pleine campagne, je me dis que DdV peut aussi signifier « droit de vote » ou « devoir de victoire » … ; laissons donc ces jeunes vivre en paix. Respectez leur autonomie et montrons que la logique de l’Etat fouettard n’est pas la nôtre. Dans la société libre et apaisée à laquelle nous aspirons, chacun doit pouvoir s’exprimer dans le respect des différences ».

A ce titre, aucune action n’avait été engagée contre cette initiative qui prenait le risque, volontairement ou pas, de faire naître une forme de parasitisme d’évocation.

« J’avais dit à Nicolas que son principal rival c’était la réalité »

Loin de telles considérations, l’atmosphère se délite à la vitesse turbo sous le chapiteau. Le Président ne parvient pas à maîtriser sa nervosité. Son ton monte. Ses gestes deviennent plus amples et surtout plus secs. Les temps de respira
tion supposés être des fenêtres pour des applaudissements nourris débouchent sur des silences car la salle a décroché laissant place à un désordre indescriptible.

Même dans les premiers rangs, les commentaires dominent l’écoute du discours présidentiel. L’un de ses proches soutiens dit à son voisin « L’opinion s’est retournée. J’avais dit à Nicolas que son principal rival c’était la réalité. La réalité a gagné et elle emporte l’opinion vers d’autres candidats ». Il est vrai que la réalité était si différente du discours officiel dans tant de domaines importants. En bon professionnel de la politique, le Président abrège son discours. Personne ne peut douter d’une cassure dans sa relation avec le public qui tranche avec le premier meeting de campagne de 2007. L’enthousiasme a fait défaut.

« L’élection présidentielle est imprévisible en France »

Le lendemain matin, à 7 heures 50, sur une grande radio nationale, un commentateur privilégié de la politique Française depuis 1976 est l’invité. Il précise rapidement « il faut oser appeler un chat un chat. Hier, ce fut un affront pour le Président que d’être exposé à une salle aussi distante. Je ne comprends pas que son équipe ait pris un tel risque que de ne pas interrompre le déroulement du meeting le temps que cette malheureuse dame soit évacuée dans des conditions décentes.

A sa décharge, depuis plusieurs mois déjà, l’opinion avait engagé son retournement. Les Français ont horreur qu’on les guide vers une élection jouée d’avance. Regardez l’histoire récente. En 1974, Chaban-Delmas devait reprendre l’héritage gaulliste sans difficulté. La victoire est allée à VGE. En 1981, les sondages de novembre 1980 donnaient VGE gagnant au premier tour. Il fut battu. En 1988, la révélation Barre devait supplanter l’exécutif empêtré dans la cohabitation. Barre n’a même pas connu le second tour. En 1995, Balladur devait gagner haut la main. Ce fut Chirac. En 2002, ce devait être au tour de Jospin. Il n’est même pas allé au second tour …

L’élection présidentielle est imprévisible en France. L’opinion vit des retournements soudains et se fixe sur un nouveau choix. Nous vivons en ce moment des instants de ce type. A force d’incarner tout seul tout le pouvoir, le Président sortant s’est trop exposé. Il incarne seul une réalité implacable : on vit moins bien aujourd’hui qu’au début de son mandat et l’opinion veut lui présenter la facture politique de cette réalité. Il y aurait même un sondage express réalisé cette nuit qui devrait être publié en fin de matinée montrant qu’une donne totalement nouvelle est née. Il peut y avoir un temps où on fait la mode. »

« Le temps du retournement est ouvert »

Et l’éditorialiste continue : « Mais malheur au moment où on la subit parce que la mode se fait à ses dépends. Cette étape n’est plus loin pour la majorité présidentielle si les chiffres de ce sondage sont exacts. Je voudrai ajouter que le pays s’est estimé manœuvré dans beaucoup d’occasions. Il fut un temps où il était question des 200 familles. Ce mandat a connu une concentration du pouvoir sans précédent, c’est peut-être le mur des 100. Cette culture de la concentration du pouvoir est totalement incompatible avec la nouvelle diffusion de l’information via Internet. Les vidéos sur la mise à l’écart de la personne âgée ont créé un buzz considérable car ces images portent un message fort : le pouvoir ne permet pas le dialogue. Même dialoguer serait contesté. Qu’est qu’une démocratie sans question ni dialogue ? Des Députés de base ont cherché à alerter. Mais les messagers ont vite été écartés dès que les messages relevaient des mauvaises nouvelles. Ils ont compris que leur intérêt était d’abonder dans le sens du système. Cette logique de facilité a contribué à creuser un écart qu’il faut maintenant rapidement combler.

Dans le déroulement de cette réunion atypique, il y a eu un tournant : lorsque le Député a utilisé l’expression « c’est avec un certain sourire que je constate la volonté d’opposants … ». Ces quelques mots ont mis le feu aux poudres parce qu’ils résument à eux seuls un état d’esprit de plus en plus mal accepté. Est-ce que poser une question, c’est déjà « être dans l’opposition » ? Est-il encore possible de poser une question sans susciter « le rictus du dédain ». En quelques mots, tout était résumé : une femme seule, fragile, écrasée par la mécanique du pouvoir, ignorée par un élu de la République qui aurait dû être son allié et non pas son critique. Cette mention « du sourire » a libéré la colère. Cette réaction montre que le temps du retournement est ouvert. Que le pouvoir se méfie que « ce sourire » n’augure pas de larmes mais cette fois pour le pouvoir et non plus pour l’individu qui a le malheur de vouloir poser une simple question … »

A 12 heures, la même radio ouvre son journal de la mi-journée avec l’annonce des titres forts de 12 heures 30. Parmi ceux-ci : sondage exclusif : la présidentielle 2012 devient plus incertaine que jamais.

Auteur: Denis Bonzy du blog Exprimeo

En exclusivité sur le blog 2villepin, dimanche 20 septembre, onzième et dernier épisode: Le nouveau Président…

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