Print Shortlink

Réforme de l'audiovisuel: "une régression sur le plan des libertés publiques", selon Dominique de Villepin

Après une bataille de plus de trois semaines menée par la gauche, les députés français ont adopté par 293 voix contre 242 la réforme de l’audiovisuel public voulue par Nicolas Sarkozy, qui prévoit notamment la suppression de la publicité sur les chaînes de télévision publiques après 20h00 à partir du 5 janvier ainsi que la nomination de leurs P-DG en conseil des ministres.

Le groupe UMP a voté pour à l’exception de six députés, dont deux partisans de l’ancien Premier ministre Dominique de Villepin, François Goulard et Hervé Mariton, qui ont voté contre et sept autres qui se sont abstenus, notamment l’ancien ministre François Baroin et le rapporteur de la commission des Finances, Gilles Carrrez. Le projet de loi sera examiné à partir du 6 janvier au Sénat. Selon Jean-Pierre Raffarin, « il n’y a pas de majorité sénatoriale pour ce texte ».

Interrogé sur France Inter jeudi matin, Dominique de Villepin a dénoncé « une régression sur le plan des libertés publiques ».

La réaction de Dominique de Villepin au micro de France Inter jeudi

« On pause un problème d’équilibre financier (à France Télévisions) et on entre des une régression sur le plan des libertés publiques en nommant le président de France Télévisions par le président de la République ».

« Ce n’est pas seulement une régression symbolique. Tout ce qui vient réduire la capacité d’expression est dangereux ».

« Je suis soucieux de grands équilibres. Je suis soucieux de plus de liberté. Le thème même des libertés publiques reste un grand sujet d’actualité ; tout ce qui peut conduire à donner plus de pouvoir à quelques-uns doit être regardé avec beaucoup de suspicion ».

Dominique de Villepin a ajouté craindre que l’audiovisuel public ne subisse « une marginalisation progressive », avec « moins de moyens, peut-être moins de crédibilité ».

De longs débats à l’Assemblée

Pour la première fois depuis 2007, une majorité des députés du Nouveau centre (NC) a voté contre un texte de la majorité dont le président du groupe, François Sauvadet. Six députés centristes ont voté pour et quatre se sont abstenus.

« Nous vous répétons ‘pas maintenant et pas comme ça’ », a expliqué le député NC Jean Dionis du Séjour. « Ce texte, qui est à ce jour une belle occasion gâchée, n’a pas su intégrer le coeur et l’esprit de nos propositions », a-t-il déploré.

Au terme d’une longue offensive menée à coups de procédure et d’amendements – plus de 80 heures de débats – les groupes socialiste, radical et citoyen (SRC) et de la gauche démocrate et républicaine (GDR, PC et Verts) ont voté contre les deux projets de loi.

« Cette réforme nous apparaît comme néfaste et dangereuse pour notre pays », a insisté Didier Mathus, porte-parole du PS dans ce débat. A ses yeux, le projet gouvernemental a pour but de « substituer à la télévision publique une télévision d’Etat strictement soumise au pouvoir sur le plan politique et financier » et de « permettre aux amis du pouvoir de capter la totalité de la ressource financière du marché publicitaire ».

Chez les non-inscrits, François Bayrou, qui avait réclamé une motion de censure contre la réforme, et les trois autres élus du MoDem ont voté contre.

Les débats ont duré beaucoup plus longtemps que prévu: près de quatre semaines au lieu d’une, pendant lesquelles la gauche a occupé la tribune, présentant toutes les motions de procédure et défendant un à un ses amendements, environ 700 sur un total de 850.

Du fait du retard pris dans l’examen de cette réforme, le conseil d’administration de France Télévisions, présidé par Patrick de Carolis, a entériné mardi la suppression de la publicité sur ses chaînes après 20h00.

L’UMP a du mal à serrer les rangs

Audiovisuel et travail du dimanche: la majorité parlementaire traverse une forte zone de turbulences en raison du pilotage difficile de réformes voulues et programmées par le seul président de la République.

Sur ces deux textes, l’UMP, pourtant prévue comme une machine de guerre de l’Elysée, et ses alliés centristes ont un mal fou à serrer les rangs au Parlement, au grand bénéfice de Martine Aubry qui n’en demandait pas tant pour remettre le PS en selle après les embardées post-congrès de Reims.

Dans la majorité, des voix s’élèvent aussi pour dénoncer la confusion des priorités à l’heure où la crise active tous les signaux d’alarme (récession, chômage, déficits).

« On a complètement cannibalisé notre plan de relance avec le travail du dimanche. Cela a un nom: cela s’appelle l’entêtement », s’agace un habitué des petits-déjeuners de la majorité à l’Elysée.

« Le président nous a dit qu’il ne voulait pas se faire enfermer dans le seul sujet de la relance », avance le député villepiniste Hervé Mariton, en soulignant que François Fillon suggérait l’inverse. « Il est indispensable et urgent de mieux définir les priorités. La priorité, c’est la crise ».

« Je trouve que ce sont des débats inutiles », lance l’ex-Premier ministre Dominique de Villepin, peu enclin à faire des cadeaux à Nicolas Sarkozy sur fond d’affaire Clearstream.

Les députés UMP ont surtout été exaspérés par la réforme de l’audiovisuel, « inopportune et maladroite. Il n’y a qu’à voir le résultat du vote. Cela a creusé le fossé entre Sarkozy et le groupe », selon une source parlementaire UMP.

La réforme a certes été votée mercredi à l’Assemblée, mais 50 voix ont manqué au compteur de la majorité. Et pour la première fois, une majorité des députés Nouveau centre (NC, allié de l’UMP) a dit non.

« François Baroin a libéré la parole », ajoute-t-on. Ce chiraquien a publiquement dit au chef de l’Etat à l’Elysée tout le mal qu’il pensait de la nomination/révocation du PDG de France Télévisions par l’exécutif.

La réforme de l’audiovisuel promise à un parcours houleux au Sénat

La réforme sur l’audiovisuel devra maintenant être examinée par les sénateurs à partir du 7 janvier. Et son parcours jusqu’à son éventuelle adoption s’annonce déjà semé d’embûches.

Candidat malheureux au poste de président du Sénat, Jean-Pierre Raffarin a ainsi déclaré, jeudi 18 décembre, qu’en l’état actuel il n’y avait pas de « majorité sénatoriale pour ce texte ».

« Ce qui est important aujourd’hui, c’est de convaincre l’ensemble du Sénat du financement du service public de télévision », a déclaré l’ancien premier ministre sur LCI, estimant que l’essentiel est de « mettre tout le monde autour de la table au Sénat pour trouver un accord, car sans accord il n’y aura pas de loi, ce qui naturellement pose un problème institutionnel ».

Visés par ces propos, les parlementaires du groupe Nouveau Centre (NC), qui, pour la première fois depuis l’élection de Nicolas Sarkozy, ont voté majoritairement contre un projet de loi : sur les 23 membres du groupe à l’Assemblée, 10 ont voté contre, 6 ont voté pour avec quatre abstentions et trois absences.

La crainte de l’UMP est de voir ce cas de figure se répéter au Sénat, où elle ne dispose pas de la majorité absolue et doit donc compter sur les voix centristes. Le groupe Union centriste (UC), qui regroupe trente sénateurs, autant NC que MoDem, ne semble pas enthousiasmé par le texte. Pour le patron du groupe, Michel Mercier, il n’y a pas « d’unanimité ».

Source: L’Express et Agence France Presse

Ecrire un Commentaire