Print Shortlink

Les réformes de société continuent à diviser la droite

Une véritable fronde. Le projet d’extension du travail le dimanche a provoqué, à la surprise générale, une réaction quasi épidermique chez une bonne partie des députés de l’UMP, bien au-delà de la cinquantaine de signataires des deux tribunes parues les derniers jours de novembre dans la presse.

Au centre des débats : la place de l’argent et la nécessaire préservation de valeurs autre que matérialistes dans une société déjà en manque de repères. « On ne peut pas tout considérer par le petit bout de la lorgnette économique », résume un député de l’UMP.

Divorce, mères porteuses, euthanasie, droit de vote des étrangers, extension du travail le dimanche: la liste des sujets de société qui divisent la droite est longue…

Ce n’est pas la première fois que le réformisme de Nicolas Sarkozy se heurte à la résistance de ses propres troupes, notamment sur les questions de société. La suppression de la carte Famille nombreuse et les velléités du gouvernement de placer les allocations familiales sous conditions de ressources avaient déjà provoqué une levée de bouclier dans la majorité.

De même que le projet de « déjudiciarisation » du divorce. Ou les déclarations de la secrétaire d’État à la famille, Nadine Morano, en faveur des mères porteuses, de « l’euthanasie encadrée » ou de la signature du pacs en mairie.

« Sur toutes ces questions liées au choix de société, il y a un malentendu entre une bonne part de la majorité et l’exécutif », témoigne le député UMP de la Drôme Hervé Mariton, qui se définit lui-même comme un « libéral » sur le plan économique mais comme un « conservateur » sur le plan sociétal.

Un opportunisme électoral de la part de Nicolas Sarkozy?

Cela fait longtemps que Nicolas Sarkozy apparaît comme plus « libéral » sur les questions de société qu’une partie des élus de droite.

Affaire de convictions mais aussi de tactique. Dès 2002, il cherche à éviter le piège d’une « droitisation » tendu par Jacques Chirac qui le nomme à dessein au ministère de l’intérieur.

Nicolas Sarkozy prend alors le contre-pied de son propre camp sur plusieurs sujets sensibles, comme la double peine, la discrimination positive ou le droit de vote des étrangers. Ce positionnement lui permet de prôner la rupture avec la droite chiraquienne, et prendre date pour l’élection présidentielle.

Depuis son accession à l’Élysée, Nicolas Sarkozy persiste à ne pas vouloir être associé à une droite conservatrice et continue de brouiller les lignes de partage traditionnelles entre droite et gauche.

« Le clivage droite-gauche n’existe plus, il n’y a qu’un clivage entre les anciens et les modernes », a-t-il plusieurs fois répété devant des proches. « Nicolas Sarkozy veut redéfinir les valeurs de la droite, analyse le secrétaire d’État à l’outre-mer, Yves Jégo. Pour être élu, il s’est appuyé sur la droite de la droite. Pour gagner en 2012, il faudra convaincre la gauche de la droite. »

Une droite déboussolée

Dans le sillage du président de la République, l’UMP, bousculée, se cherche un positionnement. « Il s’agit de définir ce que cela signifie d’être de droite aujourd’hui », explique la secrétaire générale adjointe de l’UMP, Nathalie Kosciusko-Morizet, qui reconnaît la nécessité d’aller « chercher de nouveaux publics ». « Par le passé, la droite avait une image conservatrice tandis que la gauche était progressiste, poursuit-elle. Aujourd’hui, c’est le contraire. Être de droite, c’est revendiquer des valeurs affirmées, tout en acceptant de les confronter au monde contemporain ».

Même son de cloche chez le secrétaire général de l’UMP, Patrick Devedjian, pour qui « la droite a cessé d’être conservatrice ».

« La gauche, qui a perdu son leadership culturel, est absente sur le plan des idées, explique-t-il. Ce qui laisse à la droite une grande marge de manœuvre pour redéfinir son champ et ses valeurs. C’est l’occasion pour elle de remettre en question beaucoup de ses fondements, d’opérer un vrai travail de rénovation idéologique ».

Mais cette tentative de redéfinition des valeurs de la droite déconcerte, voire irrite, certains élus UMP. « Cela commence à me fatiguer qu’au nom de la modernité, on passe tout de suite pour un ringard, confiait le député des Alpes-Maritimes, Jean Leonetti, à propos du débat sur le travail du dimanche. Les ringards, ils essaient de s’occuper de l’essentiel, quand les modernes, eux, ne voient que l’accessoire ».

À l’instar du vice-président du groupe UMP à l’Assemblée nationale, ils sont nombreux à voir dans certaines prises de position de l’exécutif sur des sujets sensibles « une fuite en avant ».

« Le problème, c’est qu’on a l’impression qu’il s’agit davantage d’être dans l’air du temps que de se doter d’une doctrine, approuve Hervé Mariton. Au fond, on a le sentiment que le président de la République a peur d’incarner un pouvoir qui passerait à côté de la modernité. À force de vouloir brouiller les frontières, le risque est de ne plus savoir où l’on est et de perdre des électeurs au passage ».

À droite, le débat n’est pas nouveau. « Sur certains sujets, il y a des nuances consistantes entre nous, mais cela ne date pas de Nicolas Sarkozy, rappelez-vous le pacs ! tempère ainsi le député UMP de la Marne Benoist Apparu. Mais il est vrai que sa méthode et le fait qu’il se contrefiche des clivages traditionnels l’amènent parfois à prendre des positions qui bousculent la droite classique ».

« La majorité est comme notre société, diverse, renchérit le député UMP des Côtes-d’Armor Marc Le Fur, qui a pris la tête de la fronde contre le travail du dimanche. Le débat entre nous est sain, mais défendre ses convictions est un travail de chaque instant ».

Connu pour ses positions contre le mariage homosexuel et l’adoption par des couples homosexuels, le député de Saône-et-Loire, Jean-Marc Nesme, estime que, sur toutes ces questions, le débat résulte avant tout d’une tendance de fond de la société française.

« Le mérite du président de la République est de ne pas se cacher derrière son petit doigt, estime-t-il. Il met les questions sur la table et notre devoir est de lui rappeler qu’il y a des limites à ne pas franchir ».

Le fait est : à chaque fois qu’il a senti de fortes résistances au sein de la majorité, le président de la République a fait marche arrière, comme il l’a fait sur le divorce. Il y a fort à parier que, dans le texte final sur le travail du dimanche, il ne reste plus grand-chose de l’ambition initiale. Quant aux conclusions de la mission Leonetti sur la fin de la vie, elles permettent à la majorité « de sauvegarder l’essentiel ».

Les sujets qui fâchent au sein de la majorité

Le divorce

Le 12 décembre 2007 le gouvernement annonce un projet de « déjudiciarisation » du divorce par consentement mutuel. La commission de réflexion, mise en place le 18 janvier 2008 sur ce sujet, abandonne finalement cette idée dans son rapport.

Les mères porteuses

La secrétaire d’État à la famille, Nadine Morano, s’est déclarée favorable à la légalisation des mères porteuses, dès lors qu’il n’y a pas de « marchandisation des corps », au grand dam d’une partie de l’UMP. Le sujet sera tranché lors de la révision des lois bioéthiques, en 2009-2010.

La fin de vie

Nicolas Sarkozy a mis le sujet sur la table, pendant la campagne présidentielle. « Quand j’entends les débats sur l’euthanasie, je veux me dire : les principes, je les respecte, les convictions je les respecte, mais je me dis quand même au fond de moi : il y a des limites à la souffrance qu’on impose à un être humain ». Entre les deux tours de l’élection, il avait été plus prudent, estimant qu’il était favorable au « laisser mourir » mais pas au « faire mourir ». L’affaire Chantal Sébire a relancé le débat. Le premier ministre a demandé au député Jean Leonetti une mission d’évaluation pour remédier éventuellement à « l’insuffisance de la législation » dans ce domaine.

Le droit de vote des étrangers

Dans un entretien télévisé le 24 avril 2008, Nicolas Sarkozy a rappelé qu’il était favorable « à titre intellectuel » au vote des étrangers non européens aux élections locales mais il a reconnu qu’il n’avait « pas de majorité pour faire passer » cette mesure.

Le travail du dimanche

Le 28 octobre 2008, le président de la République relance le débat sur le travail du dimanche. « Je veu
x le dire parce que c’est une conviction profonde : pourquoi continuer d’empêcher celui qui le veut de travailler le dimanche ? (…) Une proposition de loi a été préparée, il faut que les parlementaires acceptent maintenant de s’en saisir sans tabou. La France n’a pas besoin d’idéologie, elle n’a pas besoin de tabou ».

Source: Céline Rouden et Solenn de Royer (La Croix)

Ecrire un Commentaire