Homme de tempêtes et de songes à l’image de François-René de Chateaubriand, l’une de ses références livresques, Dominique de Villepin voit s’éloigner sans regret « le tourbillon sans haut ni bas » de Matignon, qui aura toutefois balayé son rêve élyséen.
« Je tourne une page. Je vais en écrire une autre », confiait récemment ce Premier ministre atypique qui puise sa fortitude dans l’écriture.
Nommé par Jacques Chirac le 31 mai 2005 pour succéder à Jean-Pierre Raffarin dans un tandem détonant avec Nicolas Sarkozy, deux jours après l’échec du référendum sur le projet de Constitution européenne, Dominique de Villepin, 53 ans, ambitionna à ce poste redoutable de « réconcilier l’inquiétude et l’impatience » françaises. Avec l’Elysée pour horizon inavoué.
Il imposa son volontarisme pour remède, s’assignant un horizon napoléonien de cent jours pour « rendre confiance aux Français » et remporter « la bataille pour l’emploi« .
Dominique de Villepin veut aller vite et met en oeuvre en août par ordonnances son plan pour l’emploi, qui inclut notamment le contrat nouvelles embauches (CNE).
Tout en se revendiquant d’un gaullisme social, il affirme n’ »écarter aucune piste » pour venir à bout du chômage, semant les germes de la crise sociale de 2006.
L’opinion, d’abord sceptique, lui accorde sa confiance. L’état de grâce s’esquisse et avec lui l’image d’un présidentiable crédible pour 2007 face à l’insatiable Nicolas Sarkozy.
L’accident vasculaire de Jacques Chirac, le 2 septembre, l’intronise de fait « président-bis« . Il participe à New York au sommet mondial de l’Onu, où il s’était illustré le 14 février 2003 lors de la crise irakienne dans ses fonctions de chef de la diplomatie française.
L’ancien ministre de l’Intérieur demeure en première ligne lors de la crise des banlieues, en novembre, au risque d’éclipser un président de la République en retrait.
« Il est très rare de rencontrer un homme qui, comme lui, soit à la fois un poète et un très bon capitaine d’escadron de commando« , affirmait Jacques Chirac dont l’osmose fut réelle avec l’ancien secrétaire général de l’Elysée (1995-2002).
Auteur d’une volumineuse anthologie poétique, nourrie de rimes tourmentées et rebelles, Dominique de Villepin souffle en 2000 à son mentor, malmené par le témoignage du financier occulte du RPR Jean-Claude Méry, le mot « abracadabrantesque » pour qualifier ces accusations. Un néologisme puisé dans un poème d’Arthur Rimbaud, « Le Coeur supplicié ».
En janvier 2006, Dominique de Villepin est au faîte de sa popularité, semblant conjurer la « malédiction » de Matignon: 58% des Français jugent positivement son action, lui qui n’a jamais connu le baptême des urnes.
La fougue secrète la précipitation. Dominique de Villepin, qui veut « shooter » contre le chômage, décide de lancer le 16 janvier le contrat première embauche (CPE), sans concertation préalable avec les syndicats.
Accusé d’institutionnaliser la précarité, il est confronté à la virulente opposition de la rue, avec la jeunesse pour fer de lance.
Inflexible, il refuse de retirer cette mesure contestée, provoquant une crise qui profite à la gauche et déstabilise une majorité inquiète. Il capitule le 10 avril. Le CPE est enterré. Les espoirs présidentiels du Premier ministre aussi.
Considérablement affaibli, Dominique de Villepin ne connaît pas de répit dans l’épreuve. L’affaire Clearstream, qui le met en cause, éclate. L’opposition réclame sa démission, les rumeurs de remaniement fleurissent. Mais Jacques Chirac lui garde sa confiance.
Dominique de Villepin se veut philosophe face à la « poussière » des contingences politiques.
Auteur des « Cent Jours ou l’esprit de sacrifice », il s’astreint, bon gré mal gré, à une philosophie napoléonienne de l’abnégation au seul « service des Français » et assure ne pas nourrir d’ »ambition présidentielle ». Jusqu’à adouber du bout des lèvres le candidat Nicolas Sarkozy, qu’il taraudait encore quelques mois auparavant.
« Moi, les palais nationaux m’ont toujours barbé. Je suis content de redevenir un citoyen comme les autres », assure-t-il.
Dominique de Villepin explique vouloir servir la France « autrement », fuit la politique partisane – « pas son truc ».
« Le miracle de Matignon, c’est de rester vivant« . La vie d’après reste à inventer.
Source: Sophie Louet (Reuters)