Au soir du premier tour de l’élection présidentielle, devant le score écrasant du candidat de l’UMP, Dominique de Villepin rend hommage à celui qu’il croyait incapable d’amener la droite à la victoire : « Finalement, c’est Sarkozy qui avait raison… » A l’autre bout de la ligne, Jean-Pierre Raffarin réplique, taquin, à son successeur : « Oui, j’avais bien noté ! »
« Quand j’ai reçu les clefs de Matignon de Jospin, il était pressé de partir. Quand j’ai remis les clefs de Matignon à Villepin, il était pressé d’arriver », constate aujourd’hui, amusé, Jean-Pierre Raffarin. « Aujourd’hui, partir, pour Villepin, c’est douloureux. Mais il faut s’y faire ! On est là pour servir », tranche l’ancien premier ministre.
En quittant Matignon, Dominique de Villepin a choisi de tourner une page, de se retirer – au moins provisoirement – de la vie politique. Une forme d’exil. Le parti était prêt à lui réserver une circonscription pour lui permettre d’entrer à l’Assemblée nationale et de se faire élire pour la première fois. « J’entends les gens qui me disent qu’il faut se préparer, qu’il y a des étapes à franchir, qu’il faut être député… Ce n’est pas ça qui m’intéresse », tranche-t-il.
« Le suffrage universel, quand même, ce n’est pas honteux ! », lui a répondu le ministre de la culture, Renaud Donnedieu de Vabres, l’un de ceux qui l’ont entouré pendant les semaines difficiles. « Il a tourné la page », affirme un proche. « Et il est capable d’arrêter la politique pour de bon », s’alarme le député de la Drôme, Hervé Mariton.
Désormais, Dominique de Villepin se fait une autre idée de lui-même. « J’ai été secrétaire général de l’Elysée, ministre des affaires étrangères, ministre de l’intérieur, premier ministre, énumère-t-il fièrement. Je n’ai pas vocation à m’arrêter d’avoir un parcours singulier. » Le premier ministre marque une pause, réfléchit, pour admettre : » Ce n’est pas facile, en politique, d’arriver à choisir rapidement la bonne direction, la bonne façon de parvenir à ses objectifs… »
Ces objectifs sont donc bien toujours là. Ceux-là mêmes qui lui ont fait choisir les chemins de traverse de la conquête du pouvoir, l’ombre des princes. Dominique de Villepin aura ainsi été l’un des principaux acteurs, pendant trente ans, du parcours de son mentor, Jacques Chirac. Dès son entrée à l’ENA, en 1977, il prend sa carte du RPR. En parallèle à sa carrière dans la diplomatie, il entre dans les cercles chiraquiens en fournissant des notes de politique étrangère.
En 1986, depuis Washington, il aide le premier ministre, Jacques Chirac, à tisser ses réseaux américains. Il entre enfin parmi les intimes de la Chiraquie lorsque, en 1993, Alain Juppé, qui vient d’être nommé ministre des affaires étrangères du gouvernement Balladur, lui demande d’être son directeur de cabinet. Il prépare alors la campagne d’un Jacques Chirac mis en danger par Edouard Balladur.
Après la victoire de 1995, il est nommé secrétaire général de l’Elysée. C’est de cette époque que date le désamour réciproque avec les élus. Leur reprochant leur manque de courage et de discipline, il sera l’un des artisans de la dissolution de 1997, pour « mettre au pas une majorité putschiste », pas encore purgée du balladurisme. Il y gagne des centaines d’ennemis et un surnom, trouvé par Bernadette Chirac : « Néron ».
Mais Jacques Chirac est déjà devenu villepino-dépendant. L’homme de l’ombre organise la contre-offensive lorsque les scandales financiers empoisonnent le septennat et retrouve pour le chef de l’Etat le célèbre « abracadabrantesque » qui réduira l’onde de choc de la cassette Méry.
Après la victoire de 2002, il décroche le ministère des affaires étrangères, puis, en 2004, l’intérieur. Pendant plusieurs mois, il prépare l’étape suivante : Matignon. Il réunit des groupes d’experts, prépare son programme de gouvernement, peaufine ses « Cent Jours » de la conquête de l’opinion. Le 30 mai 2005, Jacques Chirac lui offre Matignon, mais le met en garde : « Dans ce cas, mon cher Dominique, vous ne serez pas candidat à la présidence de la République. » « Je comprends », avait répondu Dominique de Villepin, qui n’en croyait rien, bien décidé à faire avec Nicolas Sarkozy ce que Jacques Chirac avait fait avec Edouard Balladur : le repousser sur la droite de l’échiquier politique pour se créer un espace politique au centre.
Son bilan à Matignon ne lui aura pas permis de se lancer dans la course présidentielle dont il rêvait, même s’il obtient des résultats honorables sur le plan économique, avec un chômage en baisse (8,4 %, contre 10,1 % quand il est arrivé). « Si l’on compare la situation qui était celle de la France il y a deux ans, au lendemain d’un référendum perdu, et la situation d’aujourd’hui, je crois que, dans tous les domaines, les choses ont été remises sur les rails et améliorées« , crâne-t-il fièrement, estimant que si le candidat de la majorité sortante peut faire 30 % au premier tour, c’est aussi grâce à lui. Mais Dominique de Villepin porte les stigmates de ses propres échecs. Le rejet du CPE par les jeunes et les syndicats, après trois mois de conflit, a durablement abîmé son image. L’accélération du calendrier de l’affaire Clearstream a achevé de réduire son capital politique. Le score du 22 avril a donné raison à la droitisation de Nicolas Sarkozy.
Comme lorsqu’il avait 20 ans, c’est ailleurs, par-delà les frontières, que Dominique de Villepin ira chercher l’inspiration d’une reconquête. « J’attendais, avec angoisse, mes résultats à Sciences Po. Mon père m’a dit : « Arrête de tourner en rond, de ressasser les mêmes questions. Va prendre l’air ! » Il m’a payé un billet d’avion pour l’Asie, en pleine déroute de l’armée américaine. Je suis parti à Hongkong, au Laos, en Birmanie… », confie-t-il.
Pour le moment, M. de Villepin garde ses secrets. « Une mission, un combat ! J’aime ce qui est nouveau, inconnu. La culture ? L’art ? La paix ? La justice ? Le développement… », énumère le premier ministre. « Je ne suis pas un homme de demi-mesures, j’ai des passions, je poursuivrai dans la voie de ces passions, convaincu que, dans la vie, on a plusieurs vies. » Se placer en réserve de la République ? « Les étagères sont pleines de recours qui prennent la poussière », répond-il.
En trahissant une ambition intacte : « Le recours, ce sont les circonstances. » « Le seul vrai recours, c’est la vie, il faut d’abord rester vivant« , ajoute-t-il. Dans son bureau traîne désormais un livre sur Samuel Beckett qu’il a ramené du dernier Salon du livre, avec cette phrase mise en exergue par l’éditeur au dos de l’ouvrage : « Essayer encore, rater encore, rater mieux. »
Source: Christophe Jakubyszyn (Le Monde)