Le premier ministre, qui est absent de la campagne, s’efface progressivement de la scène politique et médiatique. Récit de ses derniers mois à Matignon.
Derniers jours rue de Varenne. Les tilleuls, les chênes et le vieux robinier des jardins de Matignon renaissent. Mais l’activité gouvernementale est en berne, réduite à son strict minimum. La semaine dernière, l’agenda officiel du premier ministre n’affichait que deux lignes : le 90e anniversaire de la bataille de Vimy, le 9 avril ; le conseil des ministres, le 11. Et cette semaine, plus rien.
Chaque mercredi, les conseillers du premier ministre continuent de se réunir dans la salle du conseil, pour la réunion du cabinet. Une salle toujours bondée, désormais à moitié vide : le tiers des conseillers a déjà fait ses cartons et quitté Matignon. Le premier d’entre eux, le jeune directeur de cabinet, Bruno Le Maire, investi par l’UMP dans une circonscription de l’Eure, a lui-même la tête ailleurs. Quant aux ministres, ils font campagne pour Nicolas Sarkozy, enchaînant les réunions publiques et les œillades au candidat.
Dominique de Villepin, lui, se fait discret, se tenant délibérément à l’écart de la campagne. « Il est serein, détaché, souriant, commente un proche. C’est incroyable… » Le premier ministre, qui a toujours dit qu’il servirait les Français « jusqu’au dernier jour » à Matignon, travaille. Au dossier des otages français. À celui de la menace terroriste. Début avril, il a géré la grève des dockers marseillais, et reçoit ces jours-ci des chefs d’État étrangers. « C’est un homme de devoir, indique-t-on à Matignon. Il assume ses responsabilités jusqu’au bout. »
Période de « découragement » après l’investiture de Sarkozy
Jusqu’au bout mais le cœur n’y est plus. « Il n’y est plus depuis le 14 janvier », précise un proche. Depuis le congrès d’investiture de Nicolas Sarkozy pour la présidentielle. Depuis la démonstration de force du président de l’UMP, qui a signifié ce jour-là qu’il avait bel et bien gagné la guerre contre la « chiraquie ».
« En entrant dans la salle, Villepin a pris conscience physiquement que la page était tournée », commente le député villepiniste, Georges Tron, qui l’accompagnait. S’ensuit une période de « découragement, voire de déprime », selon plusieurs familiers de Matignon. Un « trou d’air », définit un proche. Les conférences de presse du premier ministre sont boudées par la presse. Il cesse ses déplacements du vendredi, qui étaient devenus un rituel. « Personne ne voulait plus le recevoir, analyse une source gouvernementale. Seuls les élus de gauche l’invitaient pour signer des contrats de projet État-région. »
Le 12 février, à Matignon, Dominique de Villepin décore Pierre Lefranc, ancien résistant et collaborateur du général de Gaulle. Un cercle de vieux gaullistes assiste à la cérémonie. Pierre Lefranc rend hommage au « courage et au talent » de Villepin. Il lui dit sa fierté de l’avoir entendu « si bien parler au nom de la France », le 14 février 2003, devant les Nations unies. Il lui dit aussi son regret de ne pas le voir aller « plus loin dès maintenant », de le voir s’effacer de la scène politique.
Et il ajoute : « En politique, on ne peut rien accomplir tout seul… sauf le 18 juin. » « Une phrase qui sonnait comme une cruelle leçon, se souvient l’un des invités. Villepin a toujours été seul, il n’était pas de la famille UMP. À part une petite dizaine de députés, il n’y avait personne autour de lui. Cette cérémonie, empreinte de nostalgie, signifiait aussi que le gaullisme politique est mort, bel et bien. »
Refus de briguer une circonscription
Le mois de février traîne en longueur. Des fidèles, à l’instar du député de l’Hérault Jean-Pierre Grand, incitent le premier ministre à récupérer la circonscription laissée vacante par Jean-Louis Debré, nommé au Conseil constitutionnel. Villepin s’y refuse.
Le 21 février, jour de la dernière séance des questions au gouvernement, à l’Assemblée, il fait ses adieux aux députés. Le premier ministre évoque les « épreuves » traversées. C’est au CPE qu’il pense. Mais aussi à la bronca menée contre lui par les parlementaires de son camp. Aux cris de « Villepin démission ». « Tous ici nous sommes différents, commence Dominique de Villepin. Différents par nos origines, nos sensibilités, nos engagements. Cette diversité doit rester pour la nation tout entière une force, elle ne doit pas se perdre en affrontements stériles. »
Mais les députés n’écoutent plus, l’esprit ailleurs, tourné vers la bataille électorale à venir et le candidat de leur camp. « Ces adieux ont fait flop, souligne une source gouvernementale. Jusqu’au bout, Villepin et les élus seront restés sur un malaise, une incompréhension. »
« Ce en quoi je crois par-dessus tout, c’est à la dignité«
Faisant contre mauvaise fortune bon cœur, le dernier cercle des villepinistes continue de se réunir à Matignon chaque mardi, pour analyser la situation politique. Certains ont vu dans la percée de François Bayrou la preuve qu’une demande d’offre alternative à Nicolas Sarkozy existait bien à droite. D’autres parlent de gâchis. « Sur le terrain, beaucoup regrettent que Villepin ne soit pas candidat », avance Jean-Pierre Grand.
Mais les mots n’y font rien, la page est tournée. Pour Villepin aussi, qui reste désormais des heures enfermé dans son bureau, à dicter son prochain livre. « La phase de déprime s’est achevée début mars, raconte un fidèle. Villepin a fait son deuil, après un gros travail sur lui-même. Il n’est pas du genre à s’apitoyer. Il a pris de la hauteur et atteint un détachement total. »
Le 11 mars, Jacques Chirac annonce qu’il ne se représente pas. Dès le lendemain, sur Europe 1, Dominique de Villepin apporte son soutien à Nicolas Sarkozy, sans attendre que le chef de l’État fasse part de ses préférences électorales. Un proche lui demande pourquoi. « On peut toujours se donner de bonnes raisons de reculer, lui répond Villepin. C’est se compliquer la vie. Ce en quoi je crois par-dessus tout, c’est à la dignité. Je ne veux pas qu’on dise que le premier ministre a manqué de dignité. »
Pas d’appétence pour le « jeu partisan«
Avait-il le choix ? Quand l’un de ses ministres fidèles, François Goulard, annonce son ralliement à François Bayrou, Villepin s’enflamme, songe à le renvoyer du gouvernement. « Il était furieux que l’un de ses ministres prenne une liberté qu’il n’avait pas les moyens de s’octroyer », analyse un député. C’est, en revanche, avec des larmes dans les yeux qu’il reçoit une dernière fois le ministre démissionnaire Azouz Begag, lui aussi rallié à Bayrou, le 5 avril dernier.
Dans trois semaines, Dominique de Villepin quittera Matignon, il sera seul. Début avril, lors de sa dernière conférence de presse, il a redit sa fierté des résultats obtenus. Mais reconnu qu’il n’avait pas le goût de la « politique en tant que telle », pas d’appétence pour le « jeu partisan ». « Le service de la France est ma seule vocation », ajoutait-il.
« C’est l’un des drames de Villepin, explique un fidèle, déçu. Il aime recevoir mais pas demander. » Un autre proche : « Villepin ne s’est jamais placé dans un esprit de conquête. C’est un homme de circonstances. Il se distingue en situation de crise. » « Vous voyez-vous comme un possible recours ? », lui demandait une journaliste le 2 avril. « Les étagères sont pleines de recours qui prennent la poussière », a répondu le premier ministre.
Source: Solenn de Royer (La Croix)