Chaque weekend du mois d’août, retrouvez notre série « Le précurseur »: un florilège d’écrits de Dominique de Villepin choisis par Miss Nicopéia.
Deuxième épisode ce samedi 7 août, sur le thème de la crise de confiance.
Extrait du Cri de la gargouille, par Dominique de Villepin
« De mirages en déceptions, s’installe une véritable crise de confiance à l’égard des élus et de l’Etat, alors que le chômage demeure obsédant, les inégalités en augmentation. Le patrimoine, le milieu social, le sexe, le statut, l’activité délimite d’autres cases invisibles dont il paraît impossible de sortir. Les peurs alimentent la spirale mauvaise d’un pays bloqué, allergique à la réforme, recroquevillé, sur la défensive.
A cela s’ajoute une grave crise des repères et des valeurs. La table rase de Mai 68 a répudié le passé et refusé l’autorité sans inventer de nouveaux idéaux.
Les piliers de la République sont ébranlés: la laïcité est battue en brèche par la montée de l’intégrisme et du communautarisme, les minorités imposent leur loi à la majorité silencieuse, l’école cesse d’offrir à chacun des perspectives réalistes de promotion sociale, l’armée n’opère plus le brassage social de naguère.
Tous les facteurs traditionnels d’intégration volent en éclats, et avec eux la cohésion de la société et la volonté de vivre ensemble qui forme selon Renan l’essence d’une nation.
A la sempiternelle dualité française s’ajoutent désormais la confusion et l’incertitude, quand chacun craint la descente aux enfers, quand la trappe à pauvreté remplace l’ascenseur social.
« Jadis, déplorait Paul Celan, il y avait une hauteur. » Aujourd’hui c’est la hasard ou le cynisme qui semblent gouverner la réussite, et les chutes peuvent être aussi foudroyantes que les ascensions. A une époque où tout s’enchaîne et se superpose, c’est la profondeur qui manque, la perspective, une ligne de fuite ou d’horizon.
Incertitude du jeu politique, quand s’inversent les rapports de force, quand des pouvoirs hier vassaux s’affirment désormais belliqueux et conquérants.
Incertitude de la pensée, quand tout semble passé, s’effacer, frappé d’évanescence ou d’obsolescence. Tout se recompose en permanence, de nouvelles frontières se dessinent dans les zones d’ombres, zones grises de la mappemonde, terra incognita que nul explorateur n’ose plus aborder.
Dans ce chaos, le plus grand nombre se sent sourdement menacé, bridé dans son rêve d’élévation, dépossédé,orphelin d’un destin. »
Source: Dominique de Villepin – « Le cri de la gargouille », Albin Michel 2002, pp78, 79, 80.